" C'est beaucoup mieux qu'un nom" Prédication du 14 mai 2017 Robert Philipoussi



LECTURE

Genèse 11.1-9

1Toute la terre parlait la même langue, avec les mêmes mots. 2Partis de l’est, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar, et ils s’y installèrent. 3Ils se dirent l’un à l’autre : Faisons donc des briques et cuisons-les au feu ! La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. 4Ils dirent alors : Bâtissons-nous donc une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne nous dispersions pas sur toute la terre ! 5Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les humains. 6Le SEIGNEUR dit : Ainsi ils sont un seul peuple, ils parlent tous la même langue, et ce n’est là que le commencement de leurs œuvres ! Maintenant, rien ne les empêchera de réaliser tous leurs projets ! 7Descendons donc, et là, brouillons leur langue, afin qu’ils ne comprennent plus la langue les uns des autres ! 8Le SEIGNEUR les dispersa de là sur toute la terre ; ils cessèrent de bâtir la ville. 9C’est pourquoi on l’a appelée du nom de Babylone (« Brouillage »), car c’est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute la terre, et c’est de là que le SEIGNEUR les dispersa sur toute la terre.

PREDICATION Robert Philipoussi

introduction.

La diastole, est la phase de dilatation du cœur, lorsque ses cavités se remplissent à nouveau de sang, avant la phase d'éjection du sang (appelée " la systole contraction).

Systole : contraction. Diastole : relâchement, du cœur. Deux mouvements nécessaires, et qui rythment notre vie organique.

Comme dans ce texte. Les hommes étaient en train de se tuer, en se contractant, le Seigneur les a dispersés et les as sauvés.

La divinité, sorte de garant moral ultime, qui n'enfreint la règle de la liberté absolue de l'humanité qu'en cas de défaillance majeure, intervient ici avant la catastrophe présumée. Pas après. Non pas pour punir, mais pour prévenir.

Quelle catastrophe ? Ce récit surprend toujours. Les hommes sont unis, ils parlent la même langue, se comprennent, forment un projet commun, bâtissent, une ville, une tour. Se sentent sortir de l'inexistence, veulent se faire un Nom. Quel mal y a t-il à vouloir, se faire, un Nom ?

Quel mal y a t il ? Et nous qui prêchons l'unité, ce texte viendrait-il miner notre belle démarche ?

Avant d'aborder ces questions capitales, voyons d'abord le texte sous son angle sans doute primitif. Avant d'être un mythe fondateur, il est d'abord un conte ironique sur la puissance de Babylone, sa ville symbole, et sa fameuse tour. Que Dieu, bien sûr finira pas anéantir

La demeure du ciel et de la terre, dit on, dont l'empreinte au sol se trouve dans l'ancienne cité de Babylone, en Irak.

Hérodote (ve siècle ), historien grec (484-406 ), en parle :

« Au milieu se dresse une tour massive, longue et large d'un stade, surmontée d'une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à huit tours. »

Tel est le destin de certains contes ironiques , de devenir des mythes fondateurs .

Revenons à nos questions. Quel Mal y a t-il ?

Une véritable réflexion sur la tour de Babel doit aboutir à une conversion de notre regard sur le monde.

En effet, de ce monde, nous déplorons sans cesse son manque d'unité, ses conflits, ses guerres, toutes ces tentatives d'unités qui aboutissent le plus souvent à une séparation supplémentaire. Et ces temps ci, dans ce pays, il semblerait que nous soyons servis, car on nous raconte qu'il se passe, une fragmentation, « fractalisation » de notre système politique et de chacun de ses éléments, jusqu'à l'Etat lui-même.

Nous sommes animés d'idéaux indiscutables, l'unité, la paix, la compréhension. Et face à ses idéaux, nous sommes consternés de voir qu'ils sont sans cesse battus en brèche, par la réalité, conflictuelle de la vie en commun des humains, par toute cette énergie de séparation. Et alors nous sommes malheureux de voir que nos idéaux ne prennent pas forme, ou alors, si furtivement.

Face à ça, nous pouvons basculer et penser : ce monde est tel qu'il est, j'en suis, j'y participe, et j'abandonne mes croyances, vaines, à l'unité, la paix, la compréhension. Et j'adopte une posture, une pensée cynique. Seule à même de n'entraîner aucune déception. Puisque cette philosophie là est en elle-même une philosophie de la déception préalable

C'est alors qu'il faudrait bien réfléchir au moyen de ce récit.

Vous avez compris, on y voit deux mouvements : la convergence, la contraction, et le relâchement. Ce mot diastole est employé dans le nouveau testament : il est la plupart du temps traduit par division.

Cette contraction, ce mouvement de rassemblement, de rapprochement, c'est le premier élan vital de l'humain. Il lui faut pour vivre s'accrocher à un centre qui en général est fourni par ce qu'il peut comprendre très rapidement de son milieu de naissance. Toutes les informations sont là, il va en être bombardé, avec l'injonction massive d'en faire partie, c'est une question de vie ou de mort, accepter le lait de sa mère, les ordres familiaux, les vêtements qu'il faut porter, accepter, les règles à respecter selon des modèles qui sont en général celui du père ou de la mère. Ce petit humain et son cerveau prodigieux va apprendre une langue en un temps record et les influx culturels de cette langue vont envahir son cerveau et déterminer son comportement voir modeler son palais, grâce à cette langue il verra le monde comme le voit le milieu qui l'a accueilli - mais il ne le sait pas encore, il ne le verra pas comme d'autres personnes parlant une autre langue et formé dans un autre environnement le voient.

Voilà l'un des premiers élan vital de l'humain : une aspiration irrésistible vers le même. Le mouvement de systole.

Parfois cet élan infantile, se poursuit dans des milieux qui ne sont pas traversés par la parole de l'autre, et sous certaines conditions, se réveille, et cela donne les spectacles de foules immenses et régressives hurlant la même chose ou qui retweetent la même chose. Des mouvements où chacun vit le plaisir de disparaitre dans un élan commun, quelque que soit la cause, noble, terrifiante, ou sportive, ou musicale, de cet élan, chaque individu n'étant qu'un reflet d'une masse identitaire. Ce n'est pas qu'une question d'enfance, hélas, cette contraction se poursuit encore après l'enfance.

Mais normalement, ce petit humain est confronté à des accidents, se rend compte que cette aspiration à devenir le même est contrecarrée. Par des accidents, famille séparée, exil, mais le plus grand accident est de nature : c'est l'apparition d'un être animé par une force vitale aussi forte, et cet être, c'est soi-même qu'on peut ou pas réveiller, qui peut ou pas être réveillé, qui peut être réduit, altéré, enfoui, tué, mais si on le laisse se réveiller, ce soi-même doit absolument se distinguer des autres, et à terme s'en séparer, ou, participer à un mouvement de dispersion.

Voilà le drame posé : pour exister l'humain doit s'équilibrer entre les deux mouvements de devenir le même (systole) et devenir un autre (diastole)

S'il ne participe qu'à devenir le même, il n'aura plus de parole propre, chacun des mots qu'il prononcera sera un lieu - justement- commun, il pensera comme tout le monde et sera manipulable à merci pour tous ceux qui ont besoin de constituer des foules pensant la même chose pour vendre des choses, prendre le pouvoir, conquérir.

S'il ne participe qu'à devenir un autre, il finira par s'isoler et l'isolement c'est la pire des tortures qu'on peut infliger à un être humain. Cela n'a rien à voir avec la solitude. La solitude rend triste. L'isolement rend fou.

C'est pourquoi la réalité est si conflictuelle, et semble l'objet de réajustement permanents, à cause de ses deux élans, toujours contrecarrés l'un par l'autre, et finalement la plupart du temps régulés l'un par l'autre.

C'est pourquoi il ne faut pas voir l'action du Seigneur dans ce texte comme une malédiction . C'est un réajustement avant une potentielle catastrophe dont l'histoire nous fournit tellement d'exemple : Parmi tous ces exemples, Une unité monstrueuse a failli exterminer un peuple, et cette unité a finalement été dispersée à coups de bombes et après plusieurs hécatombes. Le Seigneur n'est pas intervenu. Mais. Le texte de la Tour de Babel était là. Mais ne semblait n'être médité que par les juifs.

De nombreux textes bibliques, à condition de les méditer intensément, offrent des antidotes à la catastrophe, et forment des esprits qui n'iront pas hurler avec les loups.

D'où l'importance du catéchisme. Et quand je dis catéchisme, je dis « catéchisme pour tout le monde », pour chaque membre régulier de l'Eglise dont ce serait le « devoir » sociétal d'aller, à nouveaux frais méditer, en groupe, la parole biblique. Nous en devisions avec quelqu'un lors d'un entretien hier. Je tiens ferme la conviction que la méditation de la parole, nous offre l'expérience qui nous permettra d'anticiper prophétiquement pour en faire l'expérience préalable et éviter de revenir dessus ensuite sous le forme de regret, de remords, de confession du péché ou de prière post événementielle.

Au travers de la méditation de Babel, Ils sauront ces esprits éclairés ces catéchisés permanents, que le spectacle de notre monde est le balancement de ces deux élans vitaux, et qu'il faut tirer profit des deux : se laisser emporter par un vrai désir d'unité tenir l'élan vital de l'unité, mais aussi de la dispersion créatrice de vie.

Tenir les deux ensembles, c'est commencer à se bâtir un bonheur spirituel en prise avec la réalité organique humaine. Ainsi nous pouvons ne pas "marcher " vers l'unité mais nous pouvons d'ores et déjà la vivre, à condition de sentir ces deux élans vitaux et de les respecter.

Ce ne sera pas une unité de masse, ce sera une unité de personnes qui restent des personnes, et deviennent encore de meilleures personnes en vivant la logique de l'assemblée dont le sens a été délivré lors de notre dernière assemblée générale.

C'est à dire l'Eglise : être ensemble rester et devenir soi-même. Assemblement et dispersion. C'est une voie étroite. C'est la voie étroite.

C'est ce que notre conseil et moi même rêvons pour notre Eglise. Qu'elle se bâtisse avec la diversité très forte qui la compose, qu'elle se parle, qu'elle agrège des autres qui ne se plaindront jamais de rester différents et à qui on n'en fera pas le reproche.

De toutes façons, nous avons la communion, qui est bien autre chose qu'une unification, qu'un lissage, qu'une contraction . Je vous invite aujourd'hui à participer à la Cène avec la méditation de Babel. Invitation/ dispersion.

C'est beaucoup mieux qu'une Tour, qu'un Nom. C'est l'assemblée des dispersés qui se ressentent unis grâce à un autre Nom que le leur. 

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