LECTURES DU JOUR
GALATES 3/24-28
24Ainsi la loi a été notre surveillant jusqu'au Christ, pour que nous soyons justifiés en vertu de la foi. 25La foi étant venue, nous ne sommes plus soumis à un surveillant. 26Car vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ. 27En effet, vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous avez revêtu le Christ. 28Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ.
PHILÉMON 1/ 9-16
9j'aime mieux te supplier au nom de l'amour ; tel que je suis, moi, Paul, un vieillard, et de plus maintenant prisonnier de Jésus-Christ, 10je te supplie pour mon enfant, celui que j'ai engendré en prison, Onésime : 11autrefois il t'a été inutile, mais maintenant il est bien utile, et à toi et à moi ; 12je te le renvoie, lui qui est une partie de moi-même.
13Moi, j'aurais souhaité le retenir auprès de moi, pour qu'il me serve à ta place, tant que je suis en prison pour la bonne nouvelle. 14Mais je n'ai rien voulu faire sans ton avis, pour que ton bienfait n'ait pas l'air forcé, mais qu'il soit volontaire.
15Peut-être, en effet, a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le retrouves pour toujours, 16non plus comme un esclave, mais, ce qui est mieux qu'un esclave, comme un frère bien-aimé
LUC 14/25-27 et 33
25De grandes foules faisaient route avec lui. Il se retourna et leur dit :
26Si quelqu'un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 27Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple.
(...) quiconque d'entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.
PROVERBES 8
32Maintenant donc, mes fils, écoutez-moi ; heureux ceux qui gardent mes voies !
33Ecoutez l'instruction, et devenez sages ; n'en faites pas peu de cas.
34Heureux celui qui m'écoute, qui veille jour après jour à mon seuil, qui monte la garde près des montants de mes portes !
35Car celui qui me trouve trouve la vie et obtient la faveur du SEIGNEUR.
36Mais celui qui me manque se fait du tort à lui-même ; tous mes ennemis aiment la mort.
PREDICATION
La lettre de Paul à Philémon - un seul chapitre - est peut être beaucoup plus importante qu'on ne le croit. Aujourd'hui, je vais vous parler de l'esclavage, et je vais essayer, au travers de ce thème de l'esclavage, de dire à quoi, pragmatiquement, et j'insiste bien sur ce mot, l'évangile peut servir. Aujourd'hui, je vais vous inviter aussi à concevoir l'évangile en mode filou, en mode escroc, en mode violateur des pseudo évidences de l'air du temps qui nous fait croire à des faits qui ne sont que de l'ornementation hypnotique de nos servitudes.
Comment l'évangile, qui n'est pas que de la parole en tant que celle ci ne serait que de l'air, qui n'est pas que des injonctions morales telles qu'on nous les assène régulièrement à chaque manifestation de la cruauté humaine, comment l'évangile finit par gagner - dans un combat qui n'est pas appelé à cesser jusqu'à la révélation finale, point de convergence de toutes les espérances de ce monde.
D'abord.
Toute la Bible accepte l'esclavage comme un fait. Un fait encadré, par exemple par des lois du Lévitique,
Je cite :
Lévitique 25
…44C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave et ta servante qui t'appartiendront, c'est d'elles que vous achèterez l'esclave et la servante. 45Vous pourrez aussi en acheter des enfants des étrangers qui demeureront chez toi, et de leurs familles qu'ils engendreront dans votre pays; et ils seront votre propriété. 46Vous les laisserez en héritage à vos enfants après vous, comme une propriété; vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à l'égard de vos frères, les enfants d'Israël, aucun de vous ne dominera avec dureté sur son frère.
Mais aussi, dans le nouveau testament des premiers croyants au Christ l'esclavage, toujours considéré comme un fait - comme nous, par exemple nous trouvons quasiment naturel d'avoir un gouvernement, d'aller voter, d'avoir une famille nucléaire, ou ce genre de choses - est un fait mais qui va devenir le prétexte, le terreau productifs de thématiques comme la grâce, comme l'affranchissement, comme la libération et immédiatement, cet esclavage devient une métaphore de la nouvelle dépendance à Dieu. Et nous allons voir, dans cette prédication, que ce passage immédiat d'une sortie de l'esclave vers un nouvel esclavage, a une vertu politique majeure. La vertu politique de l'évangile n'a pas forcément été perçue par les auteurs du nouveau testament, mais elle existe et nous pouvons nous donner la capacité et les moyens de la percevoir.
Pour continuer, Paul, citoyen romain "libre" se définit lui-même, dans la salutation solennelle de la lettre aux Romains comme un esclave de Christ, car il a été affranchi par Christ de son zèle bouillonnant de persécuteur des premiers croyants au Christ.
Ce terme est la traduction du grec doulos qui signifie aussi « esclave ». Pour dire à quel point ce phénomène l'intéresse.
Paul c'est celui qui dit, dans notre texte du jour, ce passage célèbre, que je me fais un plaisir de vous relire :
GALATES 3/24-28
24Ainsi la loi a été notre surveillant jusqu'au Christ, pour que nous soyons justifiés en vertu de la foi. 25La foi étant venue, nous ne sommes plus soumis à un surveillant. 26Car vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ. 27En effet, vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous avez revêtu le Christ. 28Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ.
Plus de surveillant... Au nom d'une unité qui apparait pour Paul, et pour les nouveaux croyants au Christ, non pas comme un idéal à atteindre - comme quand nous nous prions espérons et supplions pour l'unité, ou pour que la volonté de Dieu se fasse - mais qui était un fait, certes voilé par les péripéties illusoires et cruelles des hommes, mais un fait encore plus réel que le fait de l'esclavage lui-même.
Ce que Paul a dit à ce moment là, si je peux me permettre, il fallait le faire ! C'est comme si aujourd'hui vous affirmiez qu'il n'y a plus ni Palestinien, ni israelien, ni musulman, ni chrétien, ni homme ni femme, ni esclave, ni homme libre. Vous le diriez que vous auriez du mal à vous croire vous-même. Ou alors dans un idéal à atteindre, sauf que pour Paul, l'idéal, c'était maintenant. Le ciel et la terre se sont rencontrées dans l'événement de Jésus Christ crucifié et ressuscité. La donne n'est plus la même. On s'est elevé d'un degré dans la perception de la réalité, et ce qui apparaissait comme des faits définitifs, sont desormais des faits secondaires face à la brillance de la nouvelle définition du réel.
Avant d'en venir à la lettre à Philémon que j'aborderais en fin de notre parcours, je voudrais vous faire part de quelques souvenirs d'une magnifique leçon inaugurale à la faculté de théologie à laquelle j'ai eu la grâce d'assister par le professeur Valérie Nicolet Anderson l'année dernière. Je ne cite pas souvent les auteurs, car cela alourdit la prédication, mais là, j'ai envie de le faire, car j'ai été ébloui. Sans compter qu'une chance infénitisimale mais réelle aurait pu provoquer qu'elle fût ici aujourd'hui même...
Cette conférence s'intitulait Les femmes et les enfants d’abord? Le baptême de Lydie et de sa maisonnée en Actes 16.
Du temps des premiers croyants aux Christ, une maisonnée entière - oikos en grec, pouvait être baptisée. En l'occurence dans Actes 16 par l'entremise de Lydie, femme aisée et libre et paienne d'origine et prosélyte de la synagogue et adorant dorénavant le Dieu unique. Elle reçoit le baptême de la part de Paul, elle , ainsi que sa maisonnée, c'est à dire tout ceux qui vivent et travaillent sous le même toit, libres et bien entendu, aussi esclaves. Les traductions qui disent "famille", méconnaissent le sens antique du mot famille. A savoir tous ceux qui vivent dans la même propriété.
Valérie Nicolet se demandera quelle importance a pour un esclave cette conversion on va dire obligatoire et si on peut, pour eux, mais aussi pour tout le monde, employer les habituelles catégories sentimentales et émotionelles habituellement usées quand on parle de conversion.
Citant divers auteurs, elle va utiliser une autre catégorie, surprenante pour nos oreilles, qui est celle du patronnage. Se convertir, pour Paul, pour Lydie et finalement pour tout le monde, c'est se mettre au service d'un Patron et devenir son "client".
Le contexte dans lequel il importe alors de comprendre la conversion est celui de la réciprocité, telle qu’elle est présente dans les liens entre patron et client au premier siècle.
Au premier siècle, le patronage structure les relations entre individus, mais est aussi le système à travers lequel les êtres humains expriment leurs relations avec leurs dieux.
La réciprocité générale fonctionne avant tout entre des partenaires qui n’ont pas un statut social égal. De plus, la réciprocité générale implique l’échange de biens qui ne sont pas de valeurs égales.
Elle demande “un remboursement non pas en nature, mais sous forme d’’hommage et de loyauté ou de soutien politique ou d’information’” Ce type d’échange implique une relation continue, et sans fin prévisible.
Le système du patronage fournit donc un cadre d'interprétation pertinent pour comprendre les relations entre dieux et êtres humains. Il va éclairer aussi le concept de conversion. Dans ce contexte, les dieux sont compris comme pouvant offrir des services aux êtres humains, et les êtres humains démontrent le comportement que l’on attendrait d’un client: en particulier, ils font preuve de loyauté vis-à-vis de leur patron.
Très bien mais qu'en est il des esclaves dans cette maisonnée ?
Du côté des membres de la maisonnée, le changement de patron peut ouvrir un espace de renégociation du pouvoir. La conversion est certes imposée du dehors, mais le patron dont tout le monde dépend à présent est le dieu d’Israël, à travers ses intermédiaires, Paul et Silas. Le changement de patron peut permettre à certains, peut-être des esclaves mâles, par exemple, de se situer différemment au sein de la maisonnée. Il reste peut-être une trace de ces réorganisations imprévues dans l’épître de Paul à Philémon.
Le fait qui a occasionné cette lettre est le suivant . Philémon avait parmi sa domesticité un esclave nommé Onésime. Celui-ci s’est enfui de la maison de son maître . On ignore pourquoi. Il n’est pas sûr qu’il l’ait volé. Néanmoins, ce départ a du causer un tort grave à Philémon. Onésime, au hasard de sa fuite et dans des circonstances qu’il est impossible de déterminer, rencontre Paul dans la ville où - justement - il est incarcéré. Sous la direction de l’apôtre, il se convertit au Christ , devenant pour lui un authentique fis spirituel, « engendré dans les chaînes », bien plus, l’objet d’une affection particulière.
Dans ce court billet, Paul remarque qu’il est maintenant dans la position d’être le patron tant d’Onésime, qu’il décrit comme son enfant, que de Philémon, qu'il a aussi "fondé" en Christ. Dans cette réévaluation où Philémon et Onésime se retrouvent soudainement frères, c’est d’abord Paul qui profite de la situation puisqu’il espère garder Onésime auprès de lui. Mais il semble qu’un changement de statut s’opère également pour Onésime, qui n’est plus en position de subordination complète par rapport à Philémon. Le statut d’Onésime s’élève, puisqu’il n’est plus tant l’esclave de Philémon que le client de Paul. En tant que co-client de Paul, il partage le statut de Philémon, et peut même être décrit comme un frère. En relation avec le Dieu d’Israël, les trois hommes sont clients, et peuvent être placés sur un pied d’égalité. On pourrait donc imaginer que pour certains esclaves, la conversion imposée du dehors est susceptible d’être ré-appropriée . C'est ce que les théologiens appelent le mode du "trickster" en français "escroc, filou" . Le trickster, du point de vue de l'histoire des religions est celui qui joue le rôle des violateurs des tabous et des interdits.
C'est ce mode là, qui a permis à des esclaves convertis de briser leurs chaines. C'est le sens même du gospel.
Pour les membres invisibles du foyer, sans voix, et avec peu ou pas de contrôle sur leurs corps, d'autres développements de Paul en Romains 6 par exemple, qui encouragent les nouveaux croyants en Christ à ne plus apporter de bienfaits à leur ancien patron, le péché, mais à diriger maintenant leur loyauté vers le Dieu d’Israël sont constitutifs de cette vertu évangélique cachée.
Dans l’esprit du trickster, ces nouvelles injonctions permettent potentiellement de remettre en question la mainmise du maître sur le corps de l’esclave. Si le maître et l’esclave partagent à présent le même maître, la conversion du trickster questionner la soumission de son corps. La conversion permet de réévaluer la construction du corps de chaque personne.
Voilà donc le principe filou, l'escroquerie bénéfique : mon maître a nouveau maître, mais c'est le même que le mien désormais, non seulement je ne lui appartiens plus - j'aurais au moins acquis une liberté intérieure vis à vis de lui - mais nous sommes désormais sur le même plan. En quelque sorte, mon maître est désormais un maître secondaire, à qui je ne suis plus obligé d'apporter la loyauté première mais je dois orienter cette loyauté à ce nouveau Patron, de moi , nouveau patron de mon maître secondaire, nouveau Dieu, nouvel évangile qui fait grâce.
Et même, si mon maître séculaire, ne reconnait pas mon nouveau Patron. Je crois moi que mon nouveau patron le connait.
A propos de l'esclavage, tous les ferments de sa subversion étaient dans l'évangile. Mais, il a fallu presque deux millénaires pour que l'abolition s'opère et pourquoi ? A cause de la complicité de l'Eglise fut grande, parce qu'elle s'est usurpée le rôle de Patron, église aussi bien catholique que protestante, par exemple celles de théologiens qui ont établi soi disant des catégories de races inférieures, ce qui a légitimé l'apartheid en République sud africaine fut grande. Mais, cela est finalement arrivé.
Il a fallu du temps, mais on aurait pu l'éviter, pour que ces paroles résonnent enfin, comme les prophéties qu'elles étaient et qu'il aurait fallu prendre non pas comme des paroles en l'air mais comme des ferments révolutionnaires.
Paul dit à Philémon :
Peut-être, en effet, a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le retrouves pour toujours, 16non plus comme un esclave, mais, ce qui est mieux qu'un esclave, comme un frère bien-aimé
Jésus dit à ceux qui veulent bien croire qu'il ne dit pas que du vent :
quiconque d'entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.
Renoncement aux biens, plus d'esclavage.
L'évangile, en mode trickster, a été le levier fondamental de la déligitimation, puis de l'interdiction de l'esclavage.
Et ce levier, ce ferment, existe encore, dans beaucoup d'autres aspects de la servitude, à condition de comprendre comment cet évangile en mode rusé peut être- je ne sais pas moi, le ver bénéfique dans le fruit pourri, ou, la graine de moutarde qui qui deviendra un grand arbre. A une simple condition, d'être pragmatique, rusé comme des serpents et doux comme des colombes, comme le conseille Jésus, pour faire en sorte que le travail de la parole de Dieu défasse , lentement peut-être mais surement, ce qui ne doit plus avoir la valeur qu'on lui accordait, du temps où nous étions encore des incroyants en la capacité de cette Parole à changer, tout.
Redisons, pour conclure cette parole et cet avertissement du jour dans le livre des Proverbes, qui nous évite tout simplement à choisir notre camp
35Car celui qui me trouve trouve la vie et obtient la faveur du SEIGNEUR.
36Mais celui qui me manque se fait du tort à lui-même ; tous mes ennemis aiment la mort.
AMEN