"Ce n'est plus la peine de brasser de l'air "

PRÉDICATION PAR ROBERT PHILIPOUSSI, 2 septembre 2018



"Je suis croyant.e mais pas pratiquant.e"

Jacques 1.17-27

 

17 tout don excellent, tout présent parfait, vient d'en haut ; il descend du Père des lumières, chez qui il n'y a ni changement ni éclipse. 18 Parce qu'il en a décidé ainsi, il nous a fait naître par une parole de vérité, pour que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures. 19 Sachez-le, mes frères bien-aimés : que chacun soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère, 20 car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu. 21 Aussi, rejetant toute saleté et tout débordement de malfaisance, accueillez avec douceur la Parole, qui a été plantée en vous et qui peut vous sauver. 22 Mettez la Parole en pratique ; ne vous contentez pas de l'écouter, en vous abusant vous-mêmes. 23 En effet, si quelqu'un écoute la Parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel 24 et qui, après s'être regardé, s'en va et oublie aussitôt comment il était. 25 Mais celui qui a plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui y demeure, non pas en écoutant pour oublier, mais en mettant en pratique, — en faisant œuvre — celui-là sera heureux dans sa pratique même. 26 Si quelqu'un se considère comme un homme religieux alors qu'il ne tient pas sa langue en bride, mais qu'il se trompe lui-même, sa religion est futile. 27 La religion pure et sans souillure devant celui qui est Dieu et Père consiste à prendre soin des orphelins et des veuves dans leur détresse, et à se garder de toute tache du monde.

 

PRÉDICATION

Combien de fois peut-on entendre quand, d'une façon ou d'une autre, on aime l'Église – quand on aime en être, quand on aime y aller, quand on aime y rencontrer des sœurs et des frères qui ont le même sentiment... combien de fois peut-on tomber sur quelqu'un qui va vous dire «  oh moi je suis croyant mais pas pratiquant ». 

Il y a diverses façons de répondre à ce que nous pourrions ressentir comme une agression. La première façon serait d'utiliser une forme d'humour. «  Je suis bien d'accord avec vous, d'ailleurs j'applique votre principe à d'autres domaines que la foi : je crois en la valeur travail, mais je ne fais jamais rien, ou, j'aime ma femme (ou mon mari) mais jamais je ne lui dis un mot gentil ni ne l'aide jamais en rien » : je vous assure que répondre cela déjà peut engendrer une belle discussion.

Et si cette discussion s'amorce, vous pouvez présenter cette belle lettre d'un certain Jacques, dans le nouveau Testament, pour qui, croire ce n'est rien d'autre que pratiquer sa foi. Contrairement, en caricaturant un peu, à un certain courant inspiré par un certain Paul, qui conviendrait bien que croire, c'est à dire, reconnaître le salut de Dieu pour soi, c'est l'essentiel. Le reste, ce ne serait que de l'administration du temps qui reste. 

Pour Jacques, en revanche, l'auteur du texte qui a été doublement lu ce matin, il n'y pas cette catégorie du temps qui reste, un temps qu'il s'agirait d'administrer dans un logique du provisoire de la fin des temps . 

Pour Jacques, il y a Dieu, «  celui ne change pas et qui ne connait pas d'éclipse », dit-il, Dieu, qui est le maître du temps. Et ce temps nous est offert à nous, comme il a été aussi offert à ceux qui nous ont précédés et comme il sera offert à ceux qui nous suivront. Et quand on se met à considérer ce temps long, ce temps indéfini et infini, se dire « croyant et non pratiquant » devient ridicule ou comme dit Jacques – qui était un homme important dans l'Église de Jérusalem du premier siècle- si important qu'il s'est imposé d'écrire cette lettre circulaire à l'ensemble du mouvement chrétien de son époque, comme dit Jacques, être croyant non pratiquant c'est juste futile.

Mais entendons nous bien : « pratiquer » ça veut dire, dans la logique de Jacques et dans celle du grec dans lequel sa lettre est écrite,pratiquer  ça veut dire« réaliser » c'est à dire : faire advenir à la réalité, concrétiser, rendre réel tangible, sensible, visible, audible...présent. 

Certes , cela a un rapport avec le fait d'aller à l'eucharistie ou à la messe pour les catholiques ou pour les protestants, avec le fait d' aller au culte pour être nourri de la parole, mais « pratiquer » cela va bien au delà de ça. C'est rendre Dieu réel, c'est faire venir la vérité au monde. 

Maintenant examinons comment dans ce passage, Jacques, dont la pensée est comment dire, ultra minoritaire dans le nouveau testament, conçoit son affaire. Quelle est sa logique. Puisqu'il y en a une. Contrairement à beaucoup de religieux, Jacques ne se contente pas d'affirmer. 

Pour lui, nous sommes nés par une parole de vérité. C'est cette parole de vérité qui nous a fait naitre. Si on va chercher un peu dans l'étymologie du mot « vérité » en grec – la vérité, c'est ce qui s'oppose à « l'oubli ». Nous serions donc nés par la vérité au lieu de finalement rester dans l'oubli. 

Naitre, par cette parole de vérité c'est mieux que d'advenir à l'existence à partir de rien, c'est en quelque sorte avoir eu la chance de ne pas rester dans l'oubli. Et puis, aussi, être né de la vérité signifierait que, la vérité est constitutive, plus que le mensonge ou l'erreur. Cette naissance est donc de bonne augure. Naître de la parole de vérité de ce Père sans éclipse, pourrait signifier pour ceux qui le reconnaissent que la vérité est première et qu'elle les constitue, ce qui pourrait leur faire du bien, ou nous faire du bien, quand nous nous sentons parfois tordus par un sentiment profond d'être – une erreur, ou, un mensonge. Selon Jacques, notre première grand mère est la vérité, et c'est de sa parole que nous venons.

Ensuite Jacques invite ses lecteurs à ne pas trop parler, mais plus à écouter. Il poursuit sa logique. Ce n'est pas juste une injonction morale. La logique est simple : nous sommes nés d'une parole, cette parole parle par notre existence, et ce que nous appelons nous même notre parole ne pourra jamais être à la hauteur de cette Parole qui nous a donné vie et existence et présence. Elle n'est au mieux qu'une simple redondance. C'est pourquoi il vaut mieux d'écouter, y compris cette parole dont il dit « qu'elle a été plantée en nous » il vaut l'écouter plutôt que de parler, c'est à dire, en fait, s'entendre parler. Oui, s'entendre parler car si des personnes parfois s'écoutaient réellement parler, elle pourraient comprendre qu'elles feraient mieux d' arrêter de parler. S'entendre parler, c'est juste vivre avec le bruit de fond de nous même qui n'a aucun sens. 

Pour Jacques, cette parole, la vraie Parole de vérité, ce ne sont pas nos mots, nos idées , mais cela pourrait devenir notre existence même qui mettrait cette parole originelle en pratique. 

Il ne s'agirait alors pas forcément de se murer dans un silence hermétique ou de faire vœu de mutisme, mais de cesser de dissocier notre parole et nos actes, ce qui permettrait que notre propre parole ne soit plus ce bruit de fond qui nous berce en permanence, mais qu'elle devienne, elle aussi cette forme de réalisation de cette promesse ancienne qui nous a donné vie. Qu'elle devienne concrétisation de la parole de vérité de ce Père des Lumières chez qui il n'y a ni changement ni éclipse.

 

Muni de la lettre de Jacques, je saurai distinguer le véritable poète du simple communiquant. Muni de la lettre de Jacques, je saurai très vite si une parole vient me manipuler ou si veut me relever. Avec Jacques, je deviens habile pour distinguer une idée morte d'un acte salutaire. 

Avec Jacques, je comprends le sens de la bénédiction, qui fait et dit du bien simultanément.

Dans ce monde de « croyants non pratiquants », dans ce monde d'engagés dans leur tête qui répugnent à se mettre en gage pour changer quoi que ce soit de ce qu'ils prétendent dénoncer, muni de la lettre de Jacques, je vais aller jusqu'à me débarrasser des mes propres idées, de celles qui viendraient m'encombrer à briller sans effet, et je m'appliquerai à être digne de cette parole de vérité qui m'a fait naître.

Jacques parle du soin des orphelins et des veuves, ce n'est pas qu'un symbole, c'est le centre humain de la torah , conçue pour être comme dit Jacques « une loi de liberté » une loi dont le détonateur primordial est l'écoute de la parole de Dieu . Mais nomme les orphelins et les veuves, au pluriel, c'est aussi reconnaître le manque de tous ceux qui manquent, la perte de ceux qui perdent, le vide de ceux et celles qui n'ont pas encore eu la chance de rencontrer ceux et celles qui ont décidé de devenir digne de leur origine sacrée. 

Notre année paroissiale commence. Je souhaite qu'elle soit à l'écoute de la parole de Dieu. Je souhaite qu'elle soit pratique. Je souhaite que notre Église soit un témoignage pertinent. La canicule est provisoirement derrière nous. Ce n'est plus la peine de brasser de l'air. Il s'agit de rendre notre foi réelle. Il s'agit pour chacun de devenir digne de la parole de vérité qui l'a fait sortir de l'oubli.

AMEN

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