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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

EMMAÜS Prédication du 30 avril 2017 Port Royal par Antoine Peillon



Emmaüs

Prédication du dimanche 30 avril 2017

Comme ils sont mystérieux, ces versets de Luc. Comme un tableau en clair-obscur, comme une promenade dans la campagne, entre chien et loup. Car, en ce lendemain de la crucifixion de Jésus, voici deux disciples éplorés qui ont quitté la Jérusalem d’une Pâque souillée par « tout ce qui s’était passé », dit pudiquement l’évangile de Luc, et qui marchent vers un village, alors que le soir vient.

Voici deux compagnons bien attristés : un certain Cléopas, ou Cléophas (du grec Kleopâtros, qui signifie « au père glorieux »), inconnu dans le restant de la Bible, mais qui est peut-être un oncle de Jésus, un frère de Joseph, selon Eusèbe de Césarée (265-339), et aussi un ou une anonyme. Deux disciples de base, dirons-nous. Antoine, votre serviteur, et Claire G., par exemple et au hasard…

Mais voici que Jésus s’approche d’eux, presque comme une ombre de plus sur le chemin du soir, comme un fantôme. Il emboîte leur pas, sans crier gare, et fait maintenant « route avec eux », comme si de rien n’était. D’ailleurs, les deux marcheurs lui prêtent-ils seulement attention, tellement ils sont occupés à discuter des évènements de ces dernières heures, à bavarder sur l’actualité, les news… ? En tout cas, leurs esprits étant encore totalement pris par l’émotion de l’horrible fait divers, leurs yeux ne reconnaissent pas Jésus dont ils se disent être pourtant des disciples. Leurs yeux en sont même « empêchés ». Mais par quelle puissance, par quel sortilège ?

Saint Augustin commente ainsi ce passage : « Ils marchaient, morts, avec un vivant ; ils marchaient, morts, avec la vie. Avec eux marchait la vie. Mais en leur cœur, nulle vie n’était renée. » (Sermon 235).

Pourquoi un tel aveuglement ? Une telle mort du cœur ?

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Il me semble – nous n’y faisons pas assez attention, habituellement – que le simple nom de ce village vers lequel ils se dirigent nous donne une première et forte indication. Emmaüs ! Les archéologues se disputent, depuis longtemps, pour le situer sur la carte de la Judée, évaluant diversement les « soixante stades » qui le séparent de Jérusalem… Mais la Bible, en une seule autre occurrence, nous révèle ce que fut Emmaüs, en vérité. Car le troisième chapitre du premier livre des Maccabées nous raconte comment, lors d’une bataille qui s’y déroula en septembre 165 av. J.-C., la faible troupe de 3000 résistants juifs, conduite par Judas, mis en déroute la puissante armée syrienne du roi Lysias, forte de quarante mille hommes et de sept mille cavaliers.

Ecoutons : « Judas et ses frères virent que le malheur s’aggravait, et que des armées (étrangères) campaient sur leur territoire. Ils apprirent aussi la décision du roi ordonnant de livrer le peuple à une destruction radicale. Ils se dirent les uns aux autres : Relevons notre peuple de sa ruine et combattons pour lui et pour notre saint lieu. (…) Les gens de Judas sonnèrent de la trompette et engagèrent le combat. Les nations furent écrasées et elles s’enfuirent vers la plaine… »

N’est-ce pas là une préfiguration du rêve des Juifs du temps de Jésus, des Zélotes principalement : délivrer Jérusalem de l’infâme domination romaine ? N’était-ce pas là, par référence symbolique, le fantasme militaire des deux « disciples », enfants de Judas, qui marchent de Jérusalem l’occupée à Emmaüs la libérée ? N’était-ce pas cela, l’objectif de leur messianisme politique, la cause que Jésus vaincu, Jésus condamné, Jésus crucifié avait en quelque sorte trahie ?

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« Mais de quoi parlez-vous, leur demande justement Jésus, au point que vous ne me reconnaissez même pas quand je marche à vos côtés ? » « Mais nous parlons bien sûr de Jésus de Nazareth », répondent-ils, soulignant comiquement leur aveuglement. « Oui, tu sais, ce prophète puissant…, dont nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël… », expliquent-ils, constatant que puissance, il n’y avait pas, en réalité, et qu’Israël n’est finalement pas délivrée.

Et voici leur litanie : « C’est ça dont nous parlons, comme tout le monde d’ailleurs, car tu sembles être le seul qui ne sache pas ce qui s’est produit ces jours-ci. Tu ne lis donc pas les journaux, tu n’écoutes pas la radio, tu ne regardes pas la télé ? Tu ne passes donc pas ton temps, comme nous, sur Twitter ou sur Facebook, pour ne rien perdre des news, pour ne pas louper l’occasion de faire tes commentaires – tes posts – vengeurs contre nos principaux sacrificateurs et nos chefs qui ont livré notre leader au tyran… ? »

 

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Ils nagent - plutôt qu’ils ne marchent - en plein zélotisme, nos braves disciples d’Emmaüs ! En plein messianisme théologico-politique.

Comme tant de disciples de Jésus, jusqu’à sa crucifixion. En témoigne très certainement, juste avant notre péricope de ce dimanche, Luc 22 : « 49Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, dirent : Seigneur, frapperons-nous de l'épée ? 50Et l'un d'eux frappa le serviteur du souverain sacrificateur et lui emporta l'oreille droite. 51Mais Jésus prit la parole et dit : Tenez-vous-en là ! Puis il toucha l'oreille de cet homme et le guérit. »

Jésus lui-même fut accusé de zélotisme et finalement condamné pour conspiration révolutionnaire, projet de coup d’Etat, messianisme politique. En témoigne toujours Luc, aux chapitres 22 et 23 qui racontent le procès du Messie :

Premier procès de Jésus : Luc 22, 66Quand il fit jour, le collège des anciens du peuple, les principaux sacrificateurs et les scribes s'assemblèrent et firent amener Jésus devant leur sanhédrin. 67Ils dirent : Si tu es le Christ (Messie), dis-le-nous.

Deuxième procès (Pilate) : Luc 23, 1Ils se levèrent tous ensemble, et conduisirent Jésus devant Pilate. 2Ils se mirent à l'accuser, en disant : Nous avons trouvé celui-ci qui incitait notre nation à la révolte, empêchait de payer l'impôt à César, et se disait lui-même Christ, roi. 3Pilate l'interrogea en ces termes : Es-tu le roi des Juifs ?

Mais, à ses accusateurs, Jésus a invariablement répondu qu’il est le « Fils de l’homme », bien plus que le « Messie ».

Reprenons Luc 22 : 67Ils dirent : Si tu es le Christ (Messie), dis-le-nous. Jésus leur répondit : Si je vous le dis, vous ne le croirez point, 68et si je vous interroge, vous ne répondrez point. 69Désormais, le Fils de l'homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu.

Et écoutons encore Jésus, lors de son dialogue avec Pilate, tel que rapporté précisément par Jean 18 : 33Pilate rentra dans le prétoire, appela Jésus et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? (…) 36Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi, afin que je ne sois pas livré aux Juifs ; mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici-bas. 37Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis : je suis roi. Voici pourquoi je suis né et voici pourquoi je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.

Au fait, Zélotes, ou zélés, vient de קנאים / Qiniim, en hébreu, qui vient lui-même de qina : jaloux, exclusif, sur la racine QYN, Caïn…

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Qu’on se le dise : Son royaume n’est pas de ce monde !

Le royaume, notre royaume, à nous disciples de Jésus-Christ, n’est pas de ce monde. Pour peu que nous ne soyons ni Zélotes, ni Pharisiens ; pour peu que nous n’attendions pas un Messie providentiel qui délivrera par miracle notre Jérusalem du joug, ou de la menace, du tyran ; pour peu que nous cessions d’être de ces « hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire »…, nous entendrons enfin ce que le Fils de l’homme disait, selon Luc 17 : Le royaume de Dieu ne vient pas de telle sorte qu'on puisse l'observer. On ne dira pas : Voyez, il est ici, ou : Il est là. Car voyez, le royaume de Dieu est au-dedans de (et/ou parmi) vous. Et il dit aux disciples : Des jours viendront où vous désirerez voir l'un des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas. On vous dira : Il est ici, il est là. N'y allez pas et n'y courez pas. En effet, comme l'éclair resplendit et brille d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi sera le Fils de l'homme en son jour.

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Le royaume, notre royaume, à nous disciples de Jésus-Christ, n’est pas de ce monde. Pour peu que nous ne soyons ni Zélotes, ni Pharisiens, pour peu que nous écoutions la Parole, « en commençant par Moïse et par tous les prophètes », comme les disciples d’Emmaüs écoutèrent finalement, heureusement, Jésus qui marchait à leur côté, nous entendrons enfin ce que le Fils de l’homme disait.

Invoquant Moïse, c’est bien, en ce lendemain de Pâque, de la sortie d’Egypte qu’il nous parle, d’une libération universelle qui est bien plus essentielle que celle de Jérusalem soumise aux Romains, que celle d’Emmaüs cerné par les Syriens. Mais Jésus-Christ nous avertit aussi que si nous adorons à nouveau les idoles, le Veau d’or (Exode 32, 1-19, et Deutéronome 9, 17), Moïse brisera encore et toujours les tables de la Loi, et que la Justice ne sera alors plus de ce monde…

Invoquant les prophètes, Jésus prononce en vérité son jugement sur les rois, les grands prêtres et leurs serviteurs zélés, sur le pouvoir, la domination et la corruption qui sont « de ce monde ».

Ecoutons Jérémie 5, par exemple : 21Ecoute ceci, peuple insensé et sans cœur ! Ils ont des yeux et ne voient pas, ils ont des oreilles et n'entendent pas. (…) 26Car il se trouve parmi mon peuple des méchants ; ils épient comme celui qui pose des pièges, ils tendent un filet et prennent des hommes. 27Comme une cage est remplie d'oiseaux, leurs maisons sont remplies de fraude ; c'est ainsi qu'ils deviennent puissants et riches. 28Ils sont devenus gras, resplendissants, ils dépassent toute mesure dans le mal, ils ne défendent pas la cause, la cause de l'orphelin, et ils prospèrent ; ils ne font pas droit aux pauvres. (…) Et mon peuple aime qu'il en soit ainsi ! Mais que ferez-vous pour l'avenir du pays ?

Ou bien les chapitres III et VII du livre du prophète Michée, sans doute écrit entre 740 et 687 av. J.-C., à l’époque-même des prophéties d’Isaïe sur la venue du Messie : « Ecoutez donc ceci, chef de la maison de Jacob, magistrats de la maison d’Israël, qui avez le droit en horreur et rendez tortueuse toute droiture, en bâtissant Sion dans le sang et Jérusalem dans le crime. […] C’est pourquoi, à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de décombres, et la montagne du Temple une hauteur broussailleuse. »

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Ouf ! Nous voici bien avertis. Libérés, même. Et la leçon biblique de Jésus, en commençant par Moïse et les prophètes, semble avoir aussi produit un effet libérateur sur les disciples d’Emmaüs.

La nuit vient. Nous sommes désormais entre loup et chien. Emmaüs est en vue. Et il n’est désormais plus question de ce qui s’est produit ces jours-ci, des journaux, de la radio ou de la télé ? Ni des news et des posts vengeurs sur Twitter et Facebook…

« Lorsqu'ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est déjà sur son déclin. »

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Il n’est plus question d’actualité. Il n’est plus question que d’hospitalité !

C’est un retournement, une métanie (μετάνοια / metanoia), une conversion en vérité.

Le mot grec pour « hospitalité », c’est « philanthropia » qui exprime l’amour des êtres humains.

Souvenons-nous que Jésus n’avait pas de demeure : Luc 9, 58 : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Mais qu’il était souvent un invité. Par Marthe et Marie, par exemple (Luc 10, 38), et même par « l’un des chefs des Pharisiens » (Luc 14)…

Souvenons-nous surtout du Jugement, tel que révélé en Matthieu 25 : 35Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez recueilli. (…) 37Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, et t'avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t'avons-nous donné à boire ? 38Quand t'avons-nous vu étranger ? 40Et le roi leur répondra : En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.

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Augustin d’Hippone, commentant nos versets de ce dimanche (Sermon 235), nous interpelle ainsi, à travers les siècles : « Et toi, si tu veux la vie, fais ce qu’ils (les disciples d’Emmaüs) ont fait, et tu reconnaîtras le Seigneur : ils ont reçu l’étranger. Le Seigneur était un voyageur qui va au loin, mais ils ont su le retenir. (…) Retiens l’étranger, si tu veux reconnaître le Sauveur. Ce que le doute avait fait perdre, l’hospitalité l’a rendu. Alors, le Seigneur a manifesté sa présence au partage du pain. »

Et les rois de ce monde, le chef des Pharisiens ou la cheftaine des Zélotes, que disent-ils de l’étranger, comment le reçoivent-ils déjà, comment le recevront-ils demain ?

Nous, ne doutons plus. Soyons les hospitaliers d’aujourd’hui et de demain. Partageons le pain que nous a donné Jésus-Christ au nom de notre seul Seigneur !

Elle est là, la bonne nouvelle ! Il est là, le royaume. Sur la terre comme au ciel. Dans le monde et non pas de ce monde.

Amen !

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