LECTURES.
Marc 6.7-13
7Ayant appelé les Douze, il se mit à les envoyer deux à deux, en leur donnant autorité sur les esprits impurs. 8Il leur enjoignit de ne rien prendre pour la route, sinon un bâton seulement ; ni pain, ni sac, ni monnaie de bronze à la ceinture, 9mais – disait-il – chaussez-vous de sandales et ne mettez pas deux tuniques. 10Il leur disait encore : Lorsque vous serez entrés dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit. 11Et si quelque part les gens ne veulent pas vous accueillir ni vous écouter, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds ; ce sera pour eux un témoignage. 12Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait changer radicalement. 13Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des applications d’huile à beaucoup de malades et les guérissaient.
AMOS 7.12-14 12Amatsia dit à Amos : Va-t-en ! Visionnaire, va te réfugier au pays de Juda ; là-bas, tu pourras manger ton pain et parler en prophète. 13Mais ne continue pas à parler en prophète à Beth-El, car c’est un sanctuaire de roi, et une maison royale. 14Amos répondit à Amatsia : Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète ; je suis éleveur de bovins et cultivateur de sycomores.
PREDICATION
Amos est considéré comme un prophète de malheur, mais comme tout "catastrophiste éclairé", ce qu'il souhaitait sans doute du plus profond de lui, et du plus profond de l’inspiration que lui donnait celui dont il se vivait comme le porte parole, ce qu’il souhaitait, vraiment : c’est d’être désavoué par les évènements.
Si le prophète prédit le pire, c’est précisément afin que ce dernier ne se produise pas. C’est en cela que le prophète n’est pas un vulgaire devin, car, contrairement au devin, il ne s’appuie pas sur une fatalité, sur un quelconque scénario céleste, mais il s’appuie sur la liberté de Dieu. Il s’appuie sur celui qui a donné à sa création entière une grande liberté. Il s’inspire de celui qui enrage de voir cette liberté si mal utilisée et, comme le dit littéralement le texte, il rugit contre cette faculté qu’a l’humain de s’enrouler dans une fatalité qu’il fabrique de toute pièce comme un orfèvre.
Humains, qui ont justement besoin d’un prophète. Besoin de quelqu’un qui n’a pas appris à aimer le malheur. Quelqu’un pour VOIR ce qui est en train de se passer, de s’enchaîner, quelqu'un pour VOIR et pour DIRE.
Même si on ne l’écoute pas, même si on se moque de lui, le prophète a une fonction utile.
Sa sagacité, sa capacité à être visionnaire pourra, peut-être – car justement c’est improbable – briser l’enchaînement des malheurs.
Le prophète en voit les causes, et pour Amos, ces causes sont toujours les mêmes, égoïsme collectif, goinfrerie de quelques uns, oubli des observances de la Loi, idolâtrie, mépris systématique et mise en servitude des plus faibles et des plus pauvres.
Cette simple liste, qui provient tout de même du 8 siècle avant Jésus Christ, a de quoi nous faire sentir, à nous, gens du 21 siècle, la redondance à travers les siècles de cette fatalité bien humaine, cette faculté qu’à l’humain de se réduire et de se priver des merveilleux dons qui lui ont été donnés.
Le prophète par son VOIR et par son DIRE tente de remettre de l’équilibre et peut-être que tout ce qu’il dit, n’arrivera finalement pas. Pour AMOS, c’est le royaume d’Israël qui pourrait donc, ne pas être balayé par les envahisseurs.
Mais il l’a été. Ce Royaume. Balayé.
Malgré la capacité visionnaire et la parole rugissante de ce prophète exceptionnel.
Alors, finalement, un prophète ça ne sert à rien.
Et c’est là qu’il faut se rappeler cette parole d’AMOS, en réponse à celui qui l’invite à retourner d’où il vient :
Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète ; je suis éleveur de bovins et cultivateur de sycomores.
En fait, un des plus redoutables prophètes de la Bible n’est pas un prophète. S’il le dit, on peut lui faire confiance, car après tout, qui peut mieux que soi même se définir ? Ou pour le dire autrement, pourquoi les « autres » auraient ils plus de compétence à définir ce que nous sommes ? A compétences égales, ou incompétence égales, autant choisir soi-même sa propre définition. Il n’est donc non seulement pas prophète, mais il n’est pas non plus issu d’une lignée de prophète. C’est un éleveur. Un cultivateur. C'est-à-dire un type comme vous et moi !
(Sourires dans l’assistance)
Alors si un prophète ne sert à rien, c’est peut-être parce que justement, ce n’est qu’ 1 prophète, et qu’en réalité, les vrais prophètes sont rares, si rares, qu’ils ont devant eux des puissances trop puissantes, surplombantes, qui ne les écoutent, qui ne le voient même pas. Cette élite prophétique est trop minuscule !
Mais, si n’importe qui, comme un bouvier, un cultivateur d’arbres, peut exercer comme AMOS une fonction prophétique, alors de nouvelles perspectives s’ouvrent. Pourquoi ? Parce que les « n’importe qui » sont extrêmement nombreux. Tous ces n’importe qui, au lieu de hocher désespérément la tête en écoutant si jamais ils en croisent, les prophètes officiels et impuissants, au lieu de continuer à s’enfouir dans le sentiment de fatalité devant le désordre du monde humain, tous ces n’importe qui pourraient prendre conscience qu’il n’y pas besoin d’être prophète pour VOIR et DIRE, pour être un contre poids sans commune mesure avec ceux qui planifient le malheur.
Ce n’est pas parce que JE suis n’importe qui, que NOUS ne sommes pas nombreux à être possiblement les vecteurs de la parole de Dieu.
En résumé, Amos a échoué parce qu’il était seul, mais ce que le livre d’Amos dit à ses lecteurs, c’est qu’il n’était même pas un prophète, comme les lecteurs d’Amos ne le sont pas non plus. Ce livre les invite donc à se dire « tiens, moi aussi je suis n’importe qui » « moi aussi, je peux VOIR et DIRE », « moi aussi, je peux exercer ma sagacité face au désordre du monde », « moi aussi, je peux devenir nombreux », beaucoup plus nombreux que ceux qui désorganisent, séparent, clivent, au lieu de s’affairer à un présent et un avenir meilleurs.
C’est dans la même tonalité que résonne le texte qui a été lu de Marc et qui raconte l’envoi des 12 disciples. Ce chiffre 12 on le sait est symbolique du peuple entier. Et ces disciples, c’est n’importe qui, c’est tout le monde. Et ce sont eux qui vont porter la parole ! Chasser les démons de la fatalité ! Guérir le monde !
Jésus, ce fils de menuisier donc n’importe qui, venu de Galilée c'est-à-dire de n’importe où, ne transfère pas sa vocation à une élite, mais au travers des 12, il transmet l’évangile de Dieu à tout le monde, et l’espérance c’est que cette multitude prenne conscience de sa force.
Les premiers croyants au Christ, dans leurs premières églises qui ne cessaient de croitre, sentaient ce miracle advenir – n’importe qui et tout le monde devenait vecteur de la prophétie de Dieu du changement du monde - du changement de paradigme, comme disent de plus en souvent aujourd’hui les prophètes revendiqués comme tels (et dès lors hélas enfermés dans leur fonction séparée).
Voilà donc la mission : nous tous ici même, en ce matin d’été, nous sommes n’importe qui, comme AMOS, mais aussi comme Simon, surnommé Pierre, et son frère André ; comme Jacques et son frère Jean, tous deux fils de Zébédée ; comme Philippe et Barthélemy ; comme Thomas, comme Matthieu le collecteur d’impôts, comme Jacques le fils d'Alphée et Thaddée ; comme Simon le zélote et même comme Judas. Et pourtant si nous sommes ici, c’est parce que nous ne sommes pas que des auditeurs de l’évangile, nous en sommes les acteurs, qui sont appelés à devenir nombreux, et à multiplier, « un pain de force et de vie », comme l’a chanté le psaume du début de ce culte et comme au sein même de notre communion à venir. .
Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète ; je suis éleveur de bovins et cultivateur de sycomores.
AMEN. Silence