Joey Commes est étudiant en théologie en 1ere année et fait partie de l'équipe de l'atelier des prédicateurs de notre paroisse.
LA PRIÈRE DE CONVERSION
Seigneur,
Viens toi-même retrouver en nous ce qui est perdu,
viens au secours de notre faiblesse,
et calmer nos peurs
et calmer nos souffrances.
Merci pour ta présence qui exauce notre prière.
Amen.
CHANT DU 42A , Strophe 1, page 62
L'ANNONCE DU PARDON
“ Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que veut dire cette parole : C'est la miséricorde que je désire », dit Jésus dans l'évangile selon Matthieu.
Que la miséricorde du Seigneur vous bénisse , vous entraîne et vous relève
Je vous invite à vous relever.
CHANT DU 42A , Strophe 3, page 62
L'EXPRESSION DE LA VOLONTÉ DE DIEU
Il est bon Seigneur de vivre avec toi, de redire ta bonté du matin jusqu'au soir. Fais moi comprendre tes volontés, ouvre mon cœur à ta parole. Je me réjouis de tes promesses, joyeux comme celui qui découvre un trésor.
Entendons les recommandations de l'apôtre Paul dans sa lettre aux Colossiens (4,2-5)
Consacrez-vous assidûment à la prière ;
par elle, veillez,
dans l’action de grâces. (...)
Comportez-vous avec sagesse envers ceux du dehors.
Rachetez le temps.
AMEN
CHANT DU 42A , Strophe 4 page 62
PRÉDICATION
Qu’attend-on de nous ? C’est la question qui peut venir à l’esprit en premier après la lecture de cette parabole. Nous sommes dans la dernière partie de l’évangile de Matthieu, le dernier chapitre avant la Pâques. Jésus est en train de parler du jugement dernier et appelle son auditoire à se tenir prêt pour la venue du Fils de l’Homme. Nous avons une série de paraboles consacrées au comportement à avoir face à cette venue. Et c’est dans cette série que se place notre texte.
Nous avons un Maître qui part en voyage en laissant l’administration de ses biens à trois esclaves. Le texte résume ces biens à des « talents », une unité grecque de mesure des monnaies alors en usage dans la Judée. Ce maître part sans donner d’instructions précises, nous n’avons pas de paroles rapportées, quel était donc la nature exacte de la mission des esclaves ? Nous pouvons supposer que le maître attendait avant tout qu’ils protègent ses biens. Cependant les trois esclaves vont chacun avoir un comportement particulier. Les talents que leur confie leur maître sont répartis de manière inégale et cette inégalité joue un rôle majeur dans ce passage. Le premier et le deuxième esclave qui ont reçu les deux parts les plus importantes sont dans une attitude semblable : ils investissent, font de la spéculation financière à partir de la somme reçue. Ils mettent donc leurs talents respectifs en jeu pour en obtenir un gain plus important. Le texte souligne une plus grande initiative du premier, peut-être que la somme plus importante qu’il a en sa possession le justifie, mais tous les deux sont bien guidés par la même logique.
Mais c’est le cas du troisième esclave qui est problématique. Il suit un raisonnement totalement opposé en se préoccupant de la conservation de son unique talent. A son retour le maître interroge ses esclaves et récompense les deux premiers mais punit le troisième. Ce traitement peut susciter l’indignation, la conduite de l’esclave pouvait se justifier, le succès des deux autres a peut-être poussé le maître à la déception en comparaison de sa prudence. Si l’un des deux autres eût été contraint d’avouer qu’il avait perdu ses talents dans un mauvais investissement notre troisième esclave aurait pu au contraire être récompensé.
Cette prudence l’esclave la justifie dans une phrase qui peut frapper l’esprit par son aspect paradoxal : « tu moissonnes où tu n'as pas semé, et tu récoltes où tu n'as pas répandu ». Cette déclaration vient nous heurter dans notre compréhension, même partielle, de la logique économique qui s’est imposée dans notre monde. L’esclave ne voit pas en son maître un homme qui gagne son revenu « à la sueur de son front », il considère que ses richesses viennent d’ailleurs. Il s’est posé la question de ce qu’attendait son maître de sa part et a cherché à y apporter une réponse qui lui semblait la meilleure.
Cependant la réaction du maître prouve que ce dernier considère que son esclave n’a rien compris. Le texte nous donne des indices par lesquels les intentions et les pensées du maître se laissent deviner. Il nous est dit que ce maître part en voyage, rappelons-nous que dans l’Antiquité les voyages sont une entreprise périlleuse, souvent longue -d’où la nécessité de confier les biens à des hommes de confiance- et dangereuse. Qu’on songe à ce voyageur de la parabole auquel le bon Samaritain porte assistance après qu’il fut détroussé par des bandits. Voyager c’est prendre des risques, et si le maître récompense ses deux premiers esclaves c’est qu’il reconnaît en eux leurs efforts, leur prise de risque qui est semblable à la sienne, tandis qu’il considère l’inaction du troisième comme une forme de lâcheté.
Nous avons donc un maître dont la préoccupation première est de faire fructifier son bien, et la manière dont il s’approprie l’argument de son esclave indolent prouve qu’il attendait de lui une tentative pour créer du bénéfice. Mais il attendait que cette tentative se fasse à l’initiative de l’esclave lui-même en son nom. Il lui parle des intérêts d’une banque parce qu’il a à l’esprit les deux autres qui ont su faire preuve d’ingéniosité. Si l’unique talent du dernier esclave revient à celui qui en avait dix c’est parce qu’il a crée le plus de bénéfice.
Nous pouvons lire ce passage comme si chacun recevait de la part de son maître ce qu’il mérite. La punition du troisième esclave serait donc légitime. Mais il ne faut pas oublier que la répartition des talents a été faite de manière inégalitaire. Il n’est donc pas étonnant que cela soit celui qui en avait le plus qui a pu en rapporter le plus. Là où celui qui en avait le moins en comparaison de ses deux confrères a choisi la retenue. Il a pu se dire qu’il n’était pas à la hauteur des deux autres, que son maître ne lui faisait pas confiance et qu’il devait éviter le risque pour ne pas le décevoir davantage.
Malheureusement pour lui c’est tout le contraire qu’il a obtenu. Mais cette réaction négative de la part du maître peut prouver qu’il attendait aussi une réussite de la part de son esclave, qu’il ne le mésestimait pas. Focalisons-nous sur le talent. La traduction que nous avons ici est la plus fidèle puisqu’elle restitue la valeur exacte décrite dans le texte grec. Un talent c’est six mille drachmes dans la Grèce antique, soit la valeur de neuf mille journées de travail d’un artisan moyen. Donc si l’esclave avait l’impression de ne pas avoir grand-chose en comparaison des deux autres il n’a pas compris qu’il avait déjà beaucoup qui lui a été donné.
Il y a deux attentes dans cette parabole, l’attente de l’esclave et l’attente du maître, finalement elles sont toutes les deux déçues. Matthieu ne révèle pas la réaction de l’esclave face à cette sanction, pouvait-il seulement protester face à la toute-puissance de son maître ? Nous sommes tentés de dire que non, mais nous pouvons imaginer qu’il n’en a pas moins pensé que c’était une injustice et qu’il ne pouvait rien faire pour la remettre en cause. La réalité de l’inégalité entre nos deux personnages se donnent à voir dans toute ses dimensions comme souvent d’autres réalités semblables peuvent se donner à voir dans notre vie.
Et les conséquences de cette inégalité se donnent à voir entièrement dans la déclaration de l’esclave. Elle est dominée par la crainte d’un châtiment de la part du maître : « je sais que tu es un homme dur » dit-il. Il se lance alors dans une justification argumentée pour expliquer la cause de son inactivité. Mais cela ne sert à rien, il n’avait aucun moyen pour éviter de susciter la colère du maître qu’il allait décevoir. L’inaction de l’esclave ne raisonne plus comme une tentative de prudence mais comme un moyen d’éviter de s’attirer la colère. Nous pouvons voir ici un avertissement de Jésus. Cet avertissement ne consiste pas à nous prévenir de nous préparer au jugement dernier en multipliant les bonnes œuvres pour chercher à se concilier les faveurs d’un maître comme un être servile, mais plutôt à nous mettre en garde dans nos actes. Il nous invite à ne pas prendre pour prétexte dans notre action la quête désespérée du salut. La venue du Christ est l’annonce du Salut, et la foi, la confiance en Lui permet de se décharger de cette quête.
Cette question de l’action pour le Salut prend place dans un débat qui confronte les premiers chrétiens aux penseurs juifs lors de la rédaction de l’évangile de Matthieu. Ces penseurs juifs, essentiellement les pharisiens qui sont, cela ne vous aura pas échappé, une cible récurrente des auteurs des évangiles, font reposer leur système de pensée sur le strict respect de la loi et la mise en œuvre de bonnes actions pour se concilier la faveur divine. Matthieu, à rebours de cette conception, nous présente Jésus comme la seule personne qui nous offre le salut. L’appel à être prêt que Jésus lance dans notre parabole du jour n’est donc pas un appel à œuvrer pour le salut de son âme, mais à se libérer de la crainte du châtiment.
Qu’on songe à notre lecture d’Esaïe : ce passage a été lu tant de fois par les Chrétiens comme l’annonce de la venue de Jésus. Je ne questionnerai pas la pertinence de cette lecture, mais nous savons que Jésus -qui connaît les Ecritures sur le bout de la langue si je puis dire- a conscience que le libérateur qu’attendent les Juifs de son temps est à l’image de cet Emmanuel dont il est question chez Esaïe. Et nous y avons lu l’annonce d’un libérateur qui ne serait pas un maître condamnant ceux qui ne remplissent pas leur devoir, mais un être qui apporterait la réconciliation entre ceux qui sont irréconciliables. Il est dit à son sujet : « Il jugera les pauvres avec justice, il arbitrera avec droiture en faveur des affligés du pays ». Le troisième esclave de notre évangile ne saurait donc se sentir dans l’injustice vis-à-vis d’une de ses décisions.
Pourtant Jésus conte cette parabole à son auditoire dont le sens paraît nous pousser à nous tenir prêt pour ne pas recevoir le châtiment que nous mériterions lors du jugement dernier si nous n’accomplissions pas les œuvres qu’il nous faudrait faire. Nous pouvons voir cette parole comme une invitation à l’action plutôt que comme une mise en garde envers ceux qui agiraient mal. L’action d’un individu dont la conscience serait libre de l’amertume engendré par la peur de la damnation, à l’image des deux premiers esclaves qui prennent des risques sans se poser de question, devient un nouvel idéal. Jésus nous invite à l’action sans se demander si nous en avons les moyens. S’il faut se tenir prêt pour la venue du Fils de l’Homme ce n’est pas en agissant pour paraître bon à ses yeux quand il viendra, c’est en osant transformer le monde avec l’audace que donne la Foi en lui.
Nous-mêmes nous nous comparons souvent aux autres en nous disant : « untel est meilleur que moi, je n’ai pas ses moyens, je n’ai pas ses talents » Le jeu de mot entre le talent dans le sens d’aptitude et le nom de l’unité monétaire antique dont il est question ici n’est possible que dans notre langue, mais je trouve qu’il peut nous apporter un éclaircissement sur ce que cette parabole peut nous dire aujourd’hui. Ce texte me semble-t-il s’oppose à un comportement fataliste, nous pouvons y trouver une invitation à reconnaître que même si nous avons l’impression de ne rien avoir nous pouvons déjà avoir beaucoup. Et dans la déclaration finale de Jésus peut être lue l’affirmation que même ceux qui n’ont rien ont quelque chose : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a ». Si on peut enlever à celui qui n’a pas c’est qu’il a vraiment quelque chose. Cet illogisme dans la bouche de Jésus est placé ici pour inviter chacun à voir ce qu’il ne voit pas à son sujet. Jésus vient faire violence à l’image que nous avons de nous-même, il cherche ainsi à nous permettre de trouver en nous ce que nous n’aurions même pas pensé exister. Si Jésus est le médiateur entre Dieu et les hommes qui apporte la délivrance, c’est aussi parce qu’il vient délivrer l’homme des limites qu’il s’impose à lui-même, pour que chacun puisse trouver son talent et le faire fructifier.
Cette parabole aux accents de mise en garde vise donc à nous pousser à trouver ce que nous ne voyons pas. Plutôt qu’une condamnation de l’inaction nous pouvons y trouver une invitation à la prise de risque, chacun avec ses moyens. Et alors rien n’est impossible pour personne.