LE RIRE DE SARA , prédication du 21 février 2016, Temple de Port-Royal

( A SUIVRE !)



LECTURE LECTEUR

GENESE 18

 

01 Aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour.

02 Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre.

03 Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur.

04 Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre.

05 Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. »

06 Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. »

07 Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.

08 Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient.

09 Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. »

10 Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. » Or, Sara écoutait par-derrière, à l’entrée de la tente.

11 – Abraham et Sara étaient très avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qui arrive aux femmes.

12 Elle se mit à rire en elle-même ; elle se disait : « J’ai pourtant passé l’âge du plaisir, et mon seigneur est un vieillard ! »

13 Le Seigneur Dieu dit à Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri, en disant : “Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, vieille comme je suis ?”

14 Y a-t-il une merveille que le Seigneur ne puisse accomplir ? Au moment où je reviendrai chez toi, au temps fixé pour la naissance, Sara aura un fils. »

15 Sara mentit en disant : « Je n’ai pas ri », car elle avait peur. Mais le Seigneur répliqua : « Si, tu as ri. »

16 Les hommes se levèrent pour partir et regardèrent du côté de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire.

17 Le Seigneur s’était dit : « Est-ce que je vais cacher à Abraham ce que je veux faire ?

18 Car Abraham doit devenir une nation grande et puissante, et toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui.

PREDICATION

Il y a des textes, des récits, qui sont plus que des récits. Ils appartiennent au patrimoine universel. On les appelle des récits fondateurs. Mais ils sont plus que cela. Plus que des récits, plus que des récits avec une fonction. Que dire. Ils sont là et procurent le plaisir du simple fait qu'ils existent. Ils sont cet appartement , dans laquelle les personnages parlent souvent haut, et parfois nous les entendons au travers de nos murs, de nos cloisons ! Parfois, nous prêtons l'oreille... Parfois, nous avons besoin de sel et nous frappons à leur porte.

 

S'ils sont des monuments, ils ne sont pas de pierre, que des fanatiques pourraient arriver à détruire. Mais des monuments qui ne peuvent pas être détruits car ils sont tout simplement et partout accessibles. Offerts . A tous, dans toutes les langues, sur tous les supports possibles.

 

Mais s'ils ne souffrent pas des destructions volontaires , ou de la corrosion du vent, du sel, du temps, ils peuvent néanmoins disparaître, de l'esprit commun, des références communes, ils peuvent cesser d'être visités : ils peuvent être oubliés, et ils le sont, de plus en plus évidemment, par de plus en plus de monde, y compris par ceux qui ont une bible quelque part chez eux, offerte par un pasteur confiant, lors de leur confirmation. Ils ne sont plus racontés, alors ils s'effacent. De nous-mêmes, qui en serions les gardiens, ils s'effacent aussi.

 

C'est très dommage, parce qu'on n'entend plus rire Sara.

Sara, qui c'est Sara? Sara c'est une princesse. Enfin, son nom signifie « princesse ».

Rachi, un rabbin célèbre qui est né dans la ville de Troyes, dit de Sarah qu'elle est « aussi belle à 100 ans qu’à 20 ans et qu’à 7 ans ».

Et elle rit. Dieu demande à son mari Abraham pourquoi elle rit comme ça. Et la princesse rétorque qu'elle n'a pas ri. Et Dieu lui dit « si, tu as ri ».

Sara est une effrontée. Elle ment à Dieu et s'obstine. Dieu a pourtant fait une promesse grandiose. Il débarque chez eux sous la forme mystérieuse de trois hommes, qui parfois parlent en même temps comme s'ils n'étaient qu'un, ou qui parfois parlent « seul » - je sais c'est bizarre, mais c'est le récit, il est comme ça ce récit qui raconte la venue de trois hommes qui sont Dieu.

Abraham le sent, que ces trois hommes sont Dieu, et déjà c'est un peu particulier comme phénomène, d'autant plus qu'ils demandent où est Sara, alors, mais Abraham l'aurait sans doute fait pour n'importe qui, mais là il s'agite particulièrement , il applique la règle de l'hospitalité. Il se hâte, il court vers Sarah pour lui demander de faire – vite, vite -des galettes, il court vers le troupeau. « Où est Sara ? » Elle écoute tout de sa tente et elle entend qu'elle aura un fils.

Ce qui la fait vraiment rigoler. Le narrateur s'y met aussi. Il joue avec le grandiose de l'annonce. Abraham et Sara étaient très avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qui arrive aux femmes.

Le narrateur prend le parti de Sara, qui glousse en elle-même , et ce gloussement intérieur, évidemment seul le narrateur peut le savoir , car seul un narrateur peut lire dans les pensées des personnages … « J’ai pourtant passé l’âge du plaisir, et mon seigneur est un vieillard ! » On ne peut mieux dire, on ne peut mieux parler du plaisir de l'amour, et hélas, de l'impuissance relative à l'âge. Abraham est devenu impuissant, et c'est littéralement ce qui est dit ici. Il y a un temps pour toute chose sous le soleil n'est ce pas ? Et puis et puis cette promesse ne s'est elle pas déjà réalisée avec Ismaël, le fils qu'Abraham a eu avec Agar la servante ?

Elle rit, le narrateur rit.

Sans dévaluer, bien au contraire, la teneur prophétique de ce récit, il n'est pas composé - et mon dieu, ô combien de commentateurs tombent dans le panneau – pour mettre en valeur le miracle de l'arrivée de Dieu sous la forme de trois étrangers mystérieux, ou pour mettre en valeur l'attitude hospitalière d'Abraham, qui court partout (malgré son grand âge), une attitude qui confinerait presque à de la servilité. Mais par une alliance entre le narrateur et Sara, c'est le rire de Sara qui est mis en valeur. Elle a ri. Non je n'ai pas ri. Si tu as ri.

A travers ce rire, le récit se moque de lui-même, réduit le côté grandiose de l'arrivée de ces trois hôtes mystérieux, et se concentre sur Sara, son rire, qui va l'ouvrir, l'ouvrir à une nouvelle jeunesse, une nouvelle fertilité, un rire miraculeux, elle stérile, elle, vieille, va enfanter, son rire sonne comme quand une nouvelle complètement inattendue vous surprend , une nouvelle tellement incroyable que à la fois vous n'y croyez pas, évidemment, et cette disproportion entre votre réalité et cette nouvelle déjà vous fait éclater de rire, et en même temps vous riez aussi comme si vous pleuriez de joie car dans ce moment là de suspension entre votre réalité et cette annonce , il vous est permis d'imaginer que votre vie enfin va complètement changer, que tout va être différent comme s'il vous était offert de commencer enfin votre vie !

Comme disait le très sérieux philosophe pragmatiste William James dans son ouvrage « la volonté de croire » : une hypothèse vivante remplace une hypothèse morte !

Enfin !

A la fin de cette histoire, les trois hommes s'en vont, Abraham les raccompagne, et il est relaté que Dieu s'était préalablement parlé en lui-même.

17 Le Seigneur s’était dit : « Est-ce que je vais cacher à Abraham ce que je veux faire ?18 Car Abraham doit devenir une nation grande et puissante, et toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui.

On peut ici comprendre que Dieu avait dans l'idée de cacher son intention, et pourquoi ? Et bien tout simplement, à cause de Sara, effrontée, capable de réduire tous les effets grandioses de cette épiphanie. Abraham se prosterne, elle non. Elle ne se prosterne pas Sara. Elle rit. Et son rire passe à travers nos murs. Et Dieu se serait dit, - il se parle en lui même comme Sara riait en elle-même - à cause de cette effrontée je vais cacher à Abraham ce que je vais faire ? Non. Tant pis. Elle pourra rigoler tant qu'elle veut, j'y vais quand même.

Le vrai courage de Dieu ici est d'avoir eu à affronter Sara. Princesse. Aussi belle à 7, à 20, qu'à 100 ans.

J'y vais quand même a dit Dieu car toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui.

Alors chers amis deux choses. N'oubliez pas votre mémoire biblique. Elle est là. Prenez du plaisir à redécouvrir, à découvrir ces récits. Mais surtout, entendez le rire de Sara, c'est un rire communicatif. C'est le rire qui communique la bénédiction, et les nations de la terre, c'est aussi vous ce matin.

Bénis soit le Seigneur qui nous inspire de tels récits.

 

AMEN
Robert Philipoussi

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