PREDICATION 24 JANVIER 2016



Luc 13.1 lecteur
En ce même temps, quelques personnes qui se trouvaient là racontaient à Jésus ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices.
13.2
Il leur répondit: Croyez-vous que ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont souffert de la sorte?
13.3
Non, je vous le dis. Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même façon..
13.4
Ou bien, ces dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tuées, croyez-vous qu'elles fussent plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem?
13.5
Non, je vous le dis. Mais si vous ne vous convertissez pas, vous mourrez tous de la même façon.
13.6
Il dit aussi cette parabole: Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint pour y chercher du fruit, et il n'en trouva pas
13.7
Alors il dit au vigneron: Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le: pourquoi occupe-t-il la terre inutilement?
13.8
Le vigneron lui répondit: Seigneur, laisse-le encore cette année; je creuserai tout autour, et j'y mettrai du fumier.
13.9
Peut-être à l'avenir donnera-t-il du fruit; sinon, toi, tu le couperas.

 

PREDICATION

 

«  DE LA MÊME FAÇON »

La bible n’est pas "analytique". C'est à dire qu'elle n'est pas là pour entrer dans les détails, et faire de ceux ci toute une histoire. Il se murmure dans les pages de la Bible que la création est un tout, une intégrité. Et il s'y proclame que, si une partie est désintégrée, violée : il y a des conséquences - ailleurs peut-être, dans un tout autre domaine, peut-être, sans forcément de lien immédiat.

 

Dans cette mentalité appelée archaïque, mais qui resurgit encore aujourd'hui très souvent, quand apeurés, nous cherchons des explications aux malheurs qui pleuvent, il existe des transgressions de l'ordre cosmique, et le Lévitique parle de "hessed" (excès de passion), tevel (confusion), hiloul (profanation), touma (impureté) et zima (opprobre) et de téova (abomination) comme autant de trangressions.

Tous ces thèmes d'ailleurs, font florès actuellement dans les discussions nationales ou protestantes a propos des moeurs des uns et des autres.

Pour dire que cette mentalité dite archaïque fourbit encore bien des arguments. Mais si aujourd'hui, ces arguments semblent être utilisés presque uniquement sur le registre sexuel et par la frange la plus conservatrice des bataillons de la morale, il ne faudrait tout de même pas jeter tout de cette mentalité et y regarder de plus près, car à trop focaliser sur le registre des moeurs qui rappelons le n'est pas l'unique registre du Lévitique, on en oublierait d'autres transgressions beaucoup plus spectaculaires, mais moins interessantes, évidemment.

Dans la mentalité biblique, on ne pouvait pas enfreindre d’un côté sans que cela craque d’un autre côté. Il y a forcément une réplique, c’est physique !

Ainsi, la Bible à travers ses prophètes affirme que des injustices – dans le sens d'un irrespect de la loi - d’un côté, engendrent des répliques dites naturelles de l’autre. Il se pratique une sorte de rééquilibrage d’une nature perpétuellement en mouvement. Il n’y a d’ailleurs pas de différence qualitative entre les méfaits d’un dictateur et une catastrophe tellurique. Les deux, pour les hébreux sont des catastrophes naturelles, bien qu’ils n’emploient pas ce mot. Pour eux chaque intempérie, catastrophe, massacre, est « cosmique ». Un règlement de compte entre des forces qui nous dépassent. Pour les hébreux, le monde est littéralement « psychosomatique ». Il est matière mais celle ci est insufflée, spirituelle
Les hébreux n’étaient pas omniscients comme nous, ils croyaient plus ou moins que la terre était plate, qu’il y a avait les eaux d’en bas, et les eaux d’en haut, et que les eaux d’en haut étaient retenues par un firmament, c’est à dire quelque chose de ferme, une voûte, mais que cette voûte pouvait céder à tout moment de grand déséquilibre.
Nous bien sûr, nous n’y croyions pas. Nous avons dit « il y a l’homme » et puis « il y a la nature ». Les deux étaient indépendants. Les hébreux eux croyaient que tout était beaucoup plus lié. Bien sûr, vous avez noté, nous commençons à ré- adopter la posture ancienne. Dans les faits pas du tout, mais désormais afficher une posture "cosmique" est de bon ton.

Tous ces anciens devaient donc, comme nous d'ailleurs, interpréter des signes. Des avertissements. .
Le plus ferme pour eux - le plus sûr - le plus apte à armer ce firmament, à contenir ces eaux du haut, ces eaux du bas, c’était : la loi, les tables de la loi. Chaque parole réalisée est un peu de ciment contre le retour au neutre, au chaos, à l’informe et au vide. Chaque parole contrecarrée, chaque promesse violée, et c’est une fissure qui apparaît dans ce temple très étrange, au plafond éclairé par des lumières, qu’est le cosmos. La fureur du déséquilibre s’abat sur n’importe qui. Pas forcément sur le méchant.
« Celui qui fait le mal prolonge ses jours » dit l’ecclésiaste, dans sa litanie. Pas sûr qu'il soit aussi privilégié. Mais son mal a des conséquences, affecte le mouvement équilibré qu’on pourrait appeler l’ordre du monde, rééquilibrage permanent.
L’idée de la loi, cette espèce d'armature pour tenir le cosmos en place, c’est qu’on devienne tous responsables les uns des autres.

Dans cet univers mental là, il y avait de quoi vivre dans la peur. Peur, voire terreur, que nous subissons aujourd'hui , quand on nous pousse à faire le lien entre notre comportement collectif et des catastrophes Peur dans un monde où sans prévenir, les écluses du déluge, peuvent s’ouvrir à chaque instant. Il faut respecter la Loi. Mais certains comme Job, ont douté. Job est quelqu’un qui se vide de son sens.
Job, les psaumes, l’ecclésiaste se posent des questions. Qui sommes nous, dans cette nature cosmique et politique qui nous balaie et que nous prétendions maîtriser alors que nous n'étions que dans les détails de nos individualités spécifiques ?

Jésus dans ce texte émerge de cette mentalité, mais aussi va aller ailleurs.

En effet il n’hésite pas à faire un lien entre les agissements sanguinaires d’un despote et l’écroulement accidentel d’une tour. Sans doute les agissements du despote viennent qu’on l’a au début laissé faire comme à chaque fois, sans doute que la tour s’est écroulée parce qu’il y avait une faille oubliée, un terrain pourri, des matériaux de construction trop pauvres, de la corruption dans la maitrise d'oeuvre. Mais même s’il y a des explications, et souvent, y compris dans les catastrophes dites naturelles, il y en a, en tous les cas dans le nombre de morts, même s’il y a une explication, les deux pour lui sont des rééquilibrages de force et oui, il faudrait commencer à penser à cesser de transgresser, de profaner . Des mouvements mystérieux du chaos ancien sont toujours actifs. Ce chaos que Dieu a organisé, à qui il est venu donner forme, pour que la vie et les êtres vivants puisse naître, faits de terre et de souffle, et aussi cette espèce d’ADAM.
Ce chaos, cette matière première de la vie, a toujours constitué une forme permanente de rébellion, la rébellion de l’inconscient face au conscient, des ténèbres contre la lumière, formes vives du chaos, éternellement jeune, se recomposant en permanence, donnant la vie, semant la mort, sans morale, sans destin, sans projet, quelque chose de très puissant qui s’apparente à ce que les gens ont appelé « le mal ».

 

 

Jésus lui ne pensait pas que le sens de ce qui était arrivé était saisissable. Les Galiléens étaient –ils plus coupables que les autres ? Non. Et les 18 victimes de l’écroulement de la tour, non plus.
Alors ?

Alors et c'est là que l'évangile, notre évangile, est nouveau. Il n'est ni archaïque, ni analytique, ni une vocation à la peur.

Il est je dirai, élégant.


Jésus dit aux gens qui l’ont interpellé que s’ils ne changent pas d’intelligence (traduction du mot grec pour se convertir), ils mouront de la même façon, et pas également comme disent vos traductions habituelles. Une nuance très importante. De la même façon.


Mourir, cela fait partie de cette gigantesque chose qui nous échappe, ce tohu bohu que le créateur a organisé pour l’émergence de la vie, mais mourir de cette façon : Non. De quelle façon ?

Sans avoir réalisé quelque chose. Sans qu’il se soit passé quelque chose entre notre naissance et notre mort. Toute une vie, entièrement du coté neutre, soumis au désordre du monde. Une vie sans aucune révélation. Mourir, oui mais pas comme ça. Pas de la même façon.
Entre la naissance et la mort : avoir vécu, avoir saisi pour s’y accrocher pour toujours un instant d’éternité. L’instant de la conversion, du renouvellement de l’intelligence et de la sagesse.
Ce texte est une protestation contre la fatalité, en attendant que l’équilibre parfait de la création se fasse. Le royaume. Shalom.

En attendant que l’équilibre parfait de la création se manifeste, que cet accomplissement, cet éveil, se réalise, il y a une solution. Dans cet « entre-temps » dans lequel nous sommes (et la liturgie de l’église si on la regarde bien est plus composée d’entre temps que de temps ! d’où sa belle nécessité), il y a cet appel au changement d’intelligence, à ce changement radical de lecture de notre position dans l’univers dont nous découvrons sans cesse plus ébahis le fonctionnement, et que nous comprenons de moins en moins.
Entre ces deux épisodes de fatalité, naissance et mort, il y a la possibilité de se convertir, pour découvrir que notre vie pourra ne pas être vaine
Se convertir. Quand ? Le plus tôt possible. Sinon, il faudra bien le couper ce figuier qui ne fait pas de fruit.
Et là, le jardinier proteste. Et ose s’adresser au propriétaire. Je vais arranger la terre autour, et si jamais il ne fait pas de fruit, toi, tu le couperas.
Ainsi, le converti parle, répond, à un personnage qui représentait jusqu’à alors son destin. Il ne veut plus être sous la gouverne d’une fatalité équivoque et aveugle. D’accord, s’il ne produit pas de fruit, toi, tu le couperas. AMEN.

Robert Philipoussi

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