11Moi, je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
12Mais le mercenaire, qui n'est pas berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup, abandonne les brebis et s'enfuit. Et le loup s'en empare et les disperse. 13C'est qu'il est mercenaire et qu'il ne se met pas en peine des brebis. Moi, je suis le bon berger. 14Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, 15comme le Père me connaît, et comme je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. 16J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut aussi que je les amène ; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger.
PAROLE
(prédication)
Le texte de Jean parle de ce berger - bon, beau, vrai - qui donne sa vie. Contrairement aux mercenaires, qui ne donnent rien mais qui prennent, en l'occurrence, la fuite. Et puis, il y a un loup, pas le loup craintif réimplanté dans nos alpages et qui est actuellement victime d'une nouvelle hystérie collective qui nous donne encore une fois un indice que nous revenons au Moyen Age, mais le loup de nos contes et légendes, le grand et méchant loup, le prédateur absolu, celui qui ne donne pas sa vie, qui ne prend pas la fuite comme le mercenaire, mais qui prend le corps des brebis.
"Si la vie était une promenade" . Ou une randonnée, ou une escalade. Même si parfois nous avons la sensation de rester longtemps dans un refuge de départ, en attendant que les orages passent en nous demandant quand on va enfin démarrer...
Un trajet. Pas forcément facile. Avec des embûches, des pièges et des étapes.
Des étapes qui ne sont déjà plus les mêmes d'une génération à l'autre. Un exemple : la conscription pour les garçons. Que reste-t-il aujourd'hui de tout l'imaginaire qui s'est développé autour de ce rite masculin de passage ?
Des étapes qui comme beaucoup le constatent aujourd'hui ne sont plus prescrites par un ordre supérieur à chacun. Aujourd'hui, il ne faut plus se faire baptiser, il ne faut plus demander sa confirmation, il ne faut plus se marier, il ne faut plus aller à l'office tous les dimanches. On le fait si on veut. Aujourd'hui, il n'y a plus de prescription universelle des étapes. Si bien que, parce que les passages et leurs rites de passages , sont quand même nécessairechacun s'en invente. Chaque communauté relative (mais à prétention universelle) s'en donne, des étapes, avec leurs rites liés. La volonté récente de réinscrire un service universel viendrait combler ce trop plein de relativisme, ce trop plein de communautarisme.
Certes c'est heureux que ces étapes ne soient plus le produit d'un destin quelconque ou d'un ordre prescripteur. Mais il s'est créé un vide béant.
Reprenons : quand on considère que la vie est essentiellement un trajet, sans destination donnée d'avance, il est peut-être utile de se constituer quelques réserves essentielles de sens pour la route, des provisionspour à la fois rester libre d'un ordre prescripteur mais aussi avoir le bonheur de franchir des étapes avec les autres, tout en ne restant pas confiné dans sa petite individualité, sa petite communauté, sa petite identité.
L'éducation, cela sert à ça. Les éducations plutôt, celles des parents, des écoles, les éducations religieuses qui, elles, comme leur nom l'indique, devraient relier, plutôt qu'encore souvent, séparer, identifier, cloisonner. Toutes ces éducations ont rarement pour objectif premier celui d'ouvrir l'esprit, d'autoriser l'intelligence. En revanche, ces éducations munissent souvent les éduqués - ceux donc, conduits sur le chemin - de fausses cartes qui présentent des chemins...mais ce sont souvent des cartes labyrinthiques, aux voies en impasse ; toutes ces cartes sont difficiles à déplier. Quiconque a eu à éduquer un enfant a du comprendre le niveau d'expertise et d'opiniatreté qu'il faut pour déjouer tous les pièges qui sont proposés comme des solutions. Et quiconque est confronté à la necessité de s'éduquer soi-même se prend les mêmes difficultés.
Ces cartes nécessitent toujours l'appel d'un spécialiste de la voirie de l'existence.
Voilà donc des éducations qui prétendent nous lâcher sur la route de la vie mais qui, en fait, nous attachent. Et Sans en avoir l'air, nous sélectionnent, nous compartimentent dans des enclos.
Ces cartes décrivent des paysages très divers, qui n'ont que peu de rapport avec la réalité de ce court trajet que tous, sur cette terre, nous sommes obligés de faire.
L'évangile nous offre la possibilité de nous débarrasser des fausses cartes, qui ne nous permettent pas de voir le réel. La possibilité de nous débarrasser de ces itinéraires qui imposent à notre consentement de toujours se balader dans les idéaux des autres. De suivre des lignes de la main à prétention rationnelle. Tu seras un homm tu seras ingénieur, tu seras dealer, tu seras un combattant pour la grande Russie, tu seras mère, père, n'importe quoi, pourvu que l'on y croit. Tu seras une célébrité .Tu seras un martyr.
Dans ces quelques mots de Jean, il y a des provisions pour la route, pour en éviter les pièges, et éviter de commettre des erreurs. Nous allons traverser 4 étapes, comme autant de carrefours, chaque étape étant sous le registre d'une erreur à éviter, chaque étape liée à un rite de passage qui trouveront leur correspondance avec le culte lui-même. Celui que nous célébrons chaque dimanche.
La première étape et la première erreur à éviter serait de croire qu'il n'y a pas d'erreur, ou qu'il n'y aurait que de la faute. Le rite de passage de cette étape est la confession du péché.
Vous savez que le péché, dans la Bible est un mot qui décrit la condition humaine dans son travers principal, celui de — littéralement — manquer sa cible. Certes, ce n'est plus très drôle de s'imaginer l'humain non pas sous l'ombre fataliste de la faute, mais sous la structure de l'erreur. Erreurs qui entraînent parfois les pires des atrocités, mais erreur quand même. Erreur diagnostiquée par Jésus, quand il a dit, au moment de mourir : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font".
L'erreur, au contraire, correspond mieux au registre de la condition humaine pensée par la Bible. L'humain, depuis Caïn, c'est celui qui erre, donc qui commet l'erreur, des erreurs ; qui erre au milieu d'un paysage dont il sent bien parfois qu'il n'est que recouvrement de la réalité.
La deuxième étape et deuxième erreur à éviter est celle d'oublier le corps, c'est à dire la réalité.
le rite de passage de cette étape est le baptême, quand le corps entier est plongé dans l'eau pour qu'il s'aperçoive qu'il est un corps à releve, à révéler, à ressusciter
Son corps, à cet humain qui erre, est le plus sûr des témoignages de la réalité. Ce corps ne parle pas de vérité, il n'est fait par partie du monde des Idées. Mais il reste la dernière trace de réalité dans un monde ou des systèmes d'Idées sont en concurrence. Ce n'est pas d'aujourd'hui que ça a commencé et ça continue. Les idéologies qui imprégnaient les masses d'antan et qui le font encore étaient et sont encore des fabriques de mondes virtuels, idéels : race pure, grand soir, dictature du prolétariat, grand califat, et même, au risque de choquer, une figure dévoyée de la démocratie, dont souvent il ne reste plus que la Belle Idée, qui voile la réalité de ce qu'elle est.
Toutes ces fabriques d'imaginaire sont ou seront détruites par le corps. Par la réalité. Où Dieu nous attend, quand nous aurons fini notre course imaginaire, notre errance. Comme le dit Réné Girard, le christianisme est la seule religion qui a prévu son propre dépassement par sa notion d'apocalypse. La resurrection des corps, ce n'est pas idiot.
Certains prêtres d'une des nouvelles religions de notre temps : la technoscience, les scientifiques donc, qui s'octroient parfois le pouvoir de dire le bien et le mal, essaient de transformer notre corps jusqu'à son génome, pour quoi, finalement ? Dans le même objectif que tous les prêtres de toutes les religions coercitives : faire disparaître le corps, pour faire disparaître la dernière trace de la réalité, le dernier rempart contre toute idéologie, y compris l'idéologie qui ferait du corps son point de fixation. mais ce serait alors le corps sans âme
Et toutes les religions ont eu cette tendance qui consiste à jeter un voile sur le corps. En particulier sur celui de la femme, qui dans cet imaginaire là est la référence suprème de ce que veut dire corps.
Et si on essaie de continuer à penser au-delà même de la terreur virale actuellement propagée, on peut voir avec quelle furie les tueurs au nom de l'Islam appliquent massivement le viol et la destruction des corps pour assouvir, non pas leur folie, ce serait trop simple, mais leur idéal.
Même les chrétiens ont tendance à oublier le centre de leur foi, à savoir que la parole de Dieu s'est faite chair, est devenue réalité grâce au corps.
La troisième étape et la troisième erreur à éviter est de sombrer dans l'idéal de la prise plutôt que rester dans la réalité naturelle du don. Le rite de passage de cette étape est l'épreuve du choc du pardon.
Dans ce texte de Jean, il y a ceux qui prennent et celui qui se dessaisit. Une des erreurs les plus fréquentes de cet humain qui erre, une des manifestations les plus fréquentes de ce péché, une des façons de renier, par exemple et toutes d'un coup, les dix paroles, les dix commandements donnés à Moïse, c'est de toujours prendre au lieu de donner. Le don, ce n'est même pas une question de morale, c'est une nécessité vitale.
Même en amour, beaucoup fonctionnent sur le registre du prendre, et oublient que toute la ressource de la joie, du plaisir, de la satisfaction est dans l'attitude de se dessaisir, de s'abandonner, de donner. Nous sommes, même, hommes et femmes, physiquement organisés pour cela.
Ce n'est pas "il faut donner" et donc essayer vainement de dominer notre soi-disant nature qui serait de l'ordre de la prédation. Cela, c'est de la morale qui fonctionne à l'envers.
Non, notre nature, et toute la Bible avec elle, est du côté du don. Oubliant cette nécessité vitale, nous nous projetons en dehors de la réalité, courant de prise en prise, de prédations en prédations, de viols en meurtres, de territoires en territoires, d'OPA inamicales en fusions mal maîtrisées. Nous sommes dans l'erreur.
Jésus dit ce que le berger fait. Il donne, il se donne. Toute la matrice du pardon est là.
(improvisation sur le choc sur le pardon)
La quatrième étape, et la quatrième erreur à éviter est le refus d'être regardé.
Le rite de passage de cette étape est la communion.
Toutes ces brebis. En quoi me concernent-elles ?
En quoi me regardent-elles ?
Ce qui me regarde, me regarde.
Aviez-vous déjà réfléchi à cette expression ? A son sens littéral ? Ce qui me regarde me regarde. Les autres, ceux que je ne vois pas en général, eux me voient, et non seulement me voient, mais me regardent.
L'autre, je ne le vois pas à cause de fausses cartes. Mais un jour je le vois, grâce à une inspiration subite, ou grâce à une méditation de l'Evangile, impliquant la totalité du corps avec son esprit. En essayant tout simplement de comprendre ce que veut dire aimer DIEU de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force, et son prochain comme soi-même.
Et quand je le vois, je constate que ça me regarde, et que, peu à peu, ce "ça", ce neutre, devient une personne, un corps, avec son visage, et son regard m'informe avant qu'il ne soit trop tard, avant que je ne m'enfonce définitivement dans les routes perdues de l'illusion, de l'idéal, de l'Idée, son regard m'informe que j'étais beaucoup plus proche de lui que ce que je croyais. Son corps m'informe que moi aussi je suis un corps comme lui-même. Un corps rongé par l'idéal, un corps qui tente de disparaitre, un corps qui aime la mort pour assouvir sa passion de l'Idée, mais un corps qui peut-être a encore un espoir. Ceci est mon corps. Nous allons le dire tout à l'heure. Et du coup, vous allez comprendre ce qu'il veut dire, par là, par son corps.
Il me regarde, et je sors du néant, j'existe en dehors des sentiers battus des imaginaires programmés qui se font la guerre.
Aujourd'hui nous sommes en guerres au pluriel et sur de nombreux fronts. Même si ces guerres ne se déclarent plus comme au temps passé, elles sont là. Nous ne sommes pas en avant guerre. Nous sommes en guerre.
Cela va relativiser bien de choses. Obliger chacun à se confronter à la réalité minérale. A son propre corps. Indivuel. Et à son corps collectif.
Communion !
L'Evangile n'a jamais été aussi radical et prometteur qu'aujourd'hui. Donc, bonne route.
AMEN
PIANO