Esaïe 40.1-11
1Consolez, consolez mon peuple,dit votre Dieu.2Parlez au cœur de Jérusalem, criez-lui que son combat est terminé,qu’elle s’est acquittée de sa faute,qu’elle a déjà reçu du SEIGNEUR le double de ce qu’elle méritait pour tous ses péchés.3Quelqu’un crie :Dans le désert, frayez le chemin du SEIGNEUR !Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride !4Que toute vallée soit élevée,que toute montagne et toute colline soient abaissées !Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons !5Alors la gloire du SEIGNEUR se dévoilera, et tous la verront ensemble– c’est la bouche du SEIGNEUR qui parle.6 Quelqu’un dit : Crie !On répond : Que crierai-je ?– Toute chair est de l’herbe,tout son éclat est comme la fleur des champs.7L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR passe dessus.Vraiment, le peuple est de l’herbe :8l’herbe se dessèche, la fleur se fane ;mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.
PS 36 str 1 & 2 O Seigneur ta fidélité
PREDICATION
Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
Voici un commandement que nous n'avons pas l'habitude d'entendre. Il ne figure pas dans nos listes habituelles. Il est pourtant là.
Ce matin, il retentit dans ce texte du jour.
Ce matin, nous ne prendrons pas le parti du peuple en attente d'être consolé, comme l'était, du temps de la proclamation prophétique, ce peuple exilé. Mais nous serons parmi ceux qui entendent ce commandement :
Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
Nous serons donc les consolateurs.
Et cette consolation, c'est de l'action. Notre action. Nous recevons une délégation. A nous donc de percevoir notre responsabilité.
Quelle consolation ? Quelle action.
Voici la première étape :
Parlez au cœur de Jérusalem, criez-lui que son combat est terminé,qu’elle s’est acquittée de sa faute
Le coeur de Jérusalem, ce sera le coeur de notre cité, dans le sens où nous n'irions pas entamer notre chemin d'action à partir de la périphérie, ou d'une marge. Nous serons là où vivent les hommes et les femmes. Nous ne parlerons pas d'ailleurs, d'un autre monde. Nous ne surplomberons pas comme les habituels discours religieux surplombent. Nous ne serons pas des religieux qui surplombent. Nous ne serons pas de ceux qui se figurent eux-mêmes comme les chiens tenus en laisse par un maître tout puissant, et qui aboient, qui effraient, rassurés par leur laisse, alors que cette laisse en fait pend dans un néant qu'ils ne perçoivent pas car ils ont trop peur de se tenir au coeur, trop peur de l'action de consoler - il est tellement plus facile d'aboyer.
D'abord au coeur de la vie des hommes, une délivrance du pardon. Une délivrance générale, non exclusive, universelle. C'est fini. Vous n'avez plus besoin de vous battre, car le combat est terminé.
Cette parole est insuffisante. Certainement. Car le plus dur, pour ces consolateurs, reste à faire. Insuffisante, mais provocatrice, car elle révèle pour ceux qui l'entendent que tous ces combats qui font leur vie sont devenus vains. Insuffisante, mais elle est un premier grain de sable dans la méchanique tellement bien huilée de la lutte permanente. Certains, au coeur de la ville, entendront ce pardon. Se demanderont de quoi, pardonner de quoi? Mais ils en arriveront peut-être et déjà à ne plus comprendre pourquoi ils se battent . Un grain de sable.
1ere action du consolateur. Se mettre au coeur de la ville, et dire le pardon, avec son corollaire : le fait que le combat est terminé.
Maintenant, l'action peut commencer. Les consolateurs savent que leur action ne sera plus une lutte, un combat, mais un véritable travail. Une mission.
Quelqu’un crie :Dans le désert, frayez le chemin du SEIGNEUR !Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride !4Que toute vallée soit élevée,que toute montagne et toute colline soient abaissées !Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons
Si Dieu ne passe pas, c'est qu'il n'y a pas de passage. La composition biblique est redondante sur le sujet. Il faut un passage. Le passage du la mer des joncs dite mer rouge, passage de la servitude à l'angoisse de la liberté, le passage du yabboq, rivière bleue, actuellement en Jordanie, quand Jacob après une lutte avec un personnage mystérieux - devient Israël . Il y a bien d'autres moments de passages, au point que les fêtes capitales des juifs et des chrétiens s'appelent Pâque, qui signifie: passage.
Il faut une trouée, un espace délivré pour laisser Dieu passer. Encore une fois, Dieu n'entre pas par effraction, il n'a aucun mandat pour perquisitionner jour et nuit. Il ne défoncera jamais aucune porte. Il lui faut une ouverture.
Et les consolateurs, pour obéir à ce commandement de consolation doivent fabriquer cette ouverture, ce passage.
Ici, la métaphore des montagnes qui doivent être abaissées, et des vallées qui doivent être elevées signifie simplement une injonction à agir pour l'égalité de chacun. Voilà le travail qui attend les consolateurs. Après avoir jeté au coeur de la ville la proclamation prophétique que le combat est terminé, après avoir commencé à enrayer une machine qui se fabrique elle même dans un mouvement infini, ces dignes fils et filles d'un Dieu qui ne les tient pas en laisse, mais qui les reconnait comme ses enfants égaux entre eux, vont s'acharner, là où ils sont à travailler pour réduire et faire disparaitre l'inégalité instituée qui fait fonctionner toute la méchanique.
Oui, consoler ce n'est pas simplement réconforter, c'est ne plus vouloir supporter le hiatus qu'il y a entre cette conviction profonde que nous sommes tous fils et filles de Dieu, et que certains soient enfermés dans des destins lugubres de générations en générations, pendant que d'autres, qui souvent les exploitent goutent aux joies de croire à leur superiorité et à leur pseudo destin d'élu.
Le christianisme naissant l'avait bien compris qui avait décrété qu'il n'y avait plus d'esclave ni homme libre, ni juif ni grec, ni homme ni femme, mais une fraternité intense.
Cette égalisation, c'est le passage nécessaire.
Ce n'est pas possible ? Et pourtant, c'est cela qui est exigé. Et non, Dieu ne surgira pas en défonçant la porte, il n'arrivera que quand nous serons capables de lui dessiner un chemin. C'est en cela que la Bible est très exigeante. Certes, nous avons besoin d'un Dieu pour notre monde, et nous le prions sans cesse, mais ce qui nous est demandé, c'est d'agir. Ou déjà au moins de nous rendre compte des conséquences de notre inaction.
Parler au coeur de la ville, annoncer le pardon, déclarer la fin du combat et se battre pour l'égalité des enfants de Dieu sur cette planète. Voilà presque entièrement décrit l'action des consolateurs.
Mais ce n'est pas terminé. Il y a un élément essentiel. Et cet élément est une parole, un style de vie, une philosophie, un étonnement.
Quelqu’un dit : Crie !On répond : Que crierai-je ?– Toute chair est de l’herbe,tout son éclat est comme la fleur des champs.7L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR passe dessus.Vraiment, le peuple est de l’herbe :8l’herbe se dessèche, la fleur se fane
Voici la parole la plus consolatrice, la plus réconfortante qui soit.
Ce n'est pas évident. Pourtant, elle est essentielle.
Les humains sont frappés d'une illusion qui les ravage. L'illusion de l'immortalité. Pourtant, ils meurent, parfois ils sentent leur mort arriver. Mais voilà, collectivement, le message ne passe pas. De générations en générations, ce sont les mêmes erreurs, les mêmes conflits, les mêmes mythes.
Les humains sont frappés de l'illusion dévastatrice de l'immortalité et ainsi ils n'ont pas peur de tuer, ou parfois même plus peur de mourir. Ils n'ont pas peur d'empoisonner, eux mêmes, leur planète, ou mêmes ceux qu'ils prétendent nourrir ou même et c'est le comble, soigner.
Pourtant, ils sont de l'herbe qui sèche. Une fleur qui se fane. Si le prophète qui en appelle aux consolateurs et leur fournit un programme complet, finit par cette nécessité de crier ça, c'est qu'il s'agit de la source majeure du problème. Il faut rappeler notre ephémerité, et dès lors convertir les esprits pour qu'ils se rendent compte que leur existence si éphèmère, devient précieuse. La leur, mais celle aussi de leur prochain, leur miroir - car nous fonctionnons tous en miroir les uns les autres.
Voilà le programme des consolateurs. Les premiers chrétiens, en proclamant ce texte pour préparer la venue du Messie avait bien leur monde antique en tête, mais ils n'en étaient pas dupes, ils n'étaient pas dupes de son fonctionnement méchanique, inégalitaire, pas dupe des combats pour le pouvoir et la richesse, pas dupes de l'inégalité générale, quand les uns, nombreux, sont de la matière première exploitable par d'autres, pas dupes non plus des myriades de niveaux intermédiaires où chacun peut dégager sa responsabilité sur d'autres.
C'était ça le christianisme, c'était cette radicalité là. Certes, nous pouvons nous contenter de sa partie morale du quotidien, nous pouvons nous faire les herauts d'un dieu imaginaire courroucé par des dessins offusquants, nous pouvons faire ce que nous voulons. Ce que nous ne pouvons pas faire c'est nier la radicalité exprimé par Esaie et par la suite par celui qui a été appelé Jésus le Christ.
Mais une question subsiste. Nous, les consolateurs en mission, qui nous consolera ?
Entendons alors pour nous mêmes les paroles du prophète, entendons que nos luttes vaines n'ont plus lieu d'être, ressentons le pardon profond qui viendra atteindre jusqu'au tréfond de notre culpabilité, frayons dans notre conscience réveillée un chemin pour la venue de Dieu, égalisons lui nos chemins interieurs escarpés et labyrinthiques, ne serait ce qu'un moment de grâce pure, et réalisons que notre vie est si éphémère qu'elle devient le plus beau don qui nous aurions pu avoir et commençons à nous aimer.
Robert Philipoussi