LECTURES [LECTEUR]
Matthieu 28.16-20
16Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. 17Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes ; 18Jésus s’approcha et leur dit : Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. 19Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint, 20et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.
Romains 8.14-17
14Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 15En effet, vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage, qui ramène à la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption filiale, par lequel nous crions : Abba ! – Père ! 16L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, s’il est vrai que nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui.
PREDICATION
Nous sommes dans le temps de la pentecôte et pourtant , comme les disciples évoqués dans l'évangile de Matthieu, quelques uns - parmi nous aussi- ont des doutes.
Et Jésus dit à travers ce même récit : "allez". Allez, faites de toutes les nations des disciples. Allez. Baptisez les. Enseignez leur à garder tout ce que je vous ai commandé.
Jésus leur dit de passer du doute à l'action. Passer à l'action permet, en effet de ne plus se poser de questions, de ne plus s'embarrasser de doutes.
Ce matin, au travers des textes proposés, nous allons évoquer l'obéissance - et en cela nous mettre en sympathie avec l'événemement intereligieux de cet après midi à la Maison Fraternelle qui s'intitule "obéir, désobéir, discerner" .
Ce que je vais vous dire ce matin, c'est que, pour passer à l'action, il faut quitter la culture du doute mais, qu'on ne peut pas le faire n'importe comment. Et les textes qui nous sont proposés et qui ont été lus par Antoine vont nous aider à discerner ce que signifie obéir à un commandement d'action, en terme évangélique.
Notre Eglise en effet, ne peut pas, ou ne peut plus, n'a plus les moyens de rester cette Eglise qui a affirmé durant des décennies que la foi et le doute sont équivalents
Certes, l'intention est bonne. Le doute, méthodique, cartésien, est indispensable. Certes, c'est une pensée saine. Mais cela l'est déjà un peu moins quand c'est affirmé comme un mantra - je l'ai entendu des centaines de fois - cela laisse songeur aussi quand c'est affirmé en plus comme un certitude (où est donc le doute : sur le doute, pas de doute ?), mais ce n'est plus sain du tout quand, au nom de ce principe mis bizarrement en équivalence avec la foi " la foi et le doute sont inséparables" , l' action est toujours repoussée, pour un temps où la crise du doute sera enfin dépassée.
Quelques uns eurent des doutes.
- ALLEZ !
On verra plus tard. Allez où d'abord. Ca veut dire quoi baptiser ? Au nom de qui ? De quoi, pourquoi ? Quels enseignements ? Comment les interpréter ?
J'imagine Jésus, dans ce chapitre 28 de l'évangile de Matthieu, devant des disciples qui doutent. Et qui malgré son injonction "ALLEZ" ! , n'y vont pas.
Il a bien fallu qu'ils sortent du doute, pour que finalement, vous, moi, soyons baptisés.Ils ont cessé de douter, et ils y sont allés.
Mais dit comme ça, c'est dangereux. Compris littéralement : un maître dit à ses disciples et les disciples y vont, c'est dangereux et d'ailleurs ça l'a été. Même le doute sans fin est infiniment préférable à cette obéissance en ligne droite. " Maître, disciple : action" /
Allez-y ! Non, peut-être, pourquoi, qui es tu pour nous dire ça : c'est infinimément préférable que l'obéissance aveugle. C'est évident.
Et la seconde partie de cette prédication à l'aide des textes du jour va essayer d'explorer la voie d'une obéissance qui fait passer à l'action, mais qui n'est pas dangereuse, pour soi, pour les autres.
La réalité théologique est qu'entre celui qui dit "ALLEZ" et les disciples qui y vont , il y a non pas du doute, mais beaucoup de médiation, de réflexion, de philosophie de l'action.
D'abord, on ne devient pas disciple comme ça. Le disciple, ce n'est pas un cerveau vide qui a trouvé dans l'évangile de quoi le remplir pour déclancher chez lui un sourire éternel et robotique. C'est quelqu'un qui a d'abord beaucoup douté, qui a d'abord eu une expérience critique du monde tel qui lui a été livré. C'est quelqu'un qui s'est d'abord beaucoup interrogé sur les commandements sociaux qui ont plu - du verbe pleuvoir - sur lui depuis sa naissance. Et qui ensuite a trouvé dans la force de l'évangile du Christ une compréhension de son intuition critique. Par l'évangile, il a senti qu'il n'était pas seul, à douter.
Ensuite, dans nos textes, on va trouver deux médiations, entre le Maître qui ordonne et le disciple qui agit.
La première se trouve dans ce texte de Matthieu. C'est un élément capital pour soit ne pas stagner dans le doute, soit ne pas se transformer en automate .
Cet élément, c'est la confiance dans un maître qui ne se contente pas de donner son ordre et qui laisserait tout tomber par la suite Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde, dit-il .
C'est à dire que dans l'action, la présence réelle de ce Maître sera là. Réelle, je ne sais pas comment, mais réelle. C'est à dire qu'il ne restera pas ce chef dans son bunker , téléphonant ses ordres bien au chaud derrière la ligne de front. Lui aussi, ira. Il est avec nous.
Evidemment, cela ne suffit pas. Evidemment, c'est encore une croyance. Mais en tous les cas, l'ordre de départ , en terme évangélique, n'est pas un ordre permanent pour l'éternité d'un combat, c'est une impulsion de départ. Le maître sera encore là pour dire où aller , ou que faire, quand d'autres circonstances seront d'actualité.
Certes, c'est un peu la foi du charbonnier, mais c'est exactement le sens de la prière de demande. Que faire Seigneur, par les temps qui courent, et qui ne recouvrent pas les mêmes situations que jadis ou naguère. Il ne s'agit donc vraiment pas d'une ligne prétenduement directe, qui part d'un chef qui aurait tout dit une bonne fois pour toutes, et qui nous laisserait pantelants dans les transchées de l'existence.
Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.
Mais la seconde médiation, qui prévient le risque de la transformation du disciple en automate, ou en bombe humaine, ou en fanatique, nous la trouvons dans le second texte offert à notre méditation ce matin. Ce passage de la lettre aux Romains. Que je vous relis, parce qu'ici nous sommes à l'oral, et personne n'a la possibilité de remonter en haut de la page.
14Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 15En effet, vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage, qui ramène à la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption filiale, par lequel nous crions : Abba ! – Père ! 16L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ,
Voilà ici la médiation essentielle pour pouvoir quitter le doute anesthésiant, et pour nous engager dans une action qui ne soit pas dévastatrice pour nous mêmes et pour notre prochain, que nous aurions vite fait de considérer comme un ennemi à conquérir. De quoi s'agit-il ?
Il s'agit du fait que ceux qui vont y aller sont - comment dire encore ce mot , le faire surgir lentement, pour ne pas le galvauder... ceux qui vont y aller sont sont libres.
Libres non pas "en soi", comme un état naturel de l'homme, mais libres parce qu'ils se sont , ou ont été, affranchis par grâce, de l'esclavage.
Ceux à qui le Maître dit d'y aller ne sont pas une armée de serviles obligés. Ils ne sont obligés de rien, et pourquoi ? Parce que selon ce texte de l'apôtre Paul, ils sont fils de Dieu - mais ça ne suffit pas de dire ça - ils sont fils de Dieu comme le Maître qui leur parle. Ils sont héritiers parce qu'ils sont fils et filles de Dieu. Et ils sont cohéritiers avec le Christ qui leur parle. C'est un retournement complet de l'attitude Maître esclave. Dans ce passage vers l'action, il n'y a plus ni maître, ni esclave. Ils n'y a plus finalement que des disciples, et celui qui dit "allez" est le disciple par excellence, le prototype du disciple, et lui aussi y va. Et l'évangile de Jésus-Christ est l'histoire d'un disciple qui y va, libre.
Ce n'est plus de l'obéissance linéaire, c'est simplement de la responsabilité. Ce n'est même plus de l'obéissance, c'est un choix de cohéritiers, de co responsables.
Il n'y a plus de hiérarchie.Tout le monde y va.
C'est cette immense sensation de responsabilité, cette sensation du développement de sa propre parole qui va briser le doute du disciple.
C'est ce qui fera de notre Eglise une véritable Eglise du Christ. Non pas celle qui s'abime dans le doute qui devient alors un prétexte à l'inaction, y compris l'inaction d'évangéliser. Pas non plus une Eglise qui prétend obéir en ligne directe à un ordre ancien et qui oublie qu'elle est sortie de l'esclavage
Qu'est ce que ce Christ, dit aujourd'hui, à notre Eglise ? Voilà la question adressés aux affranchis que nous sommes ?
Ca c'est à nous ensemble de le découvrir.
Ce que j'ai tenté de transmettre ce matin, c'est trois choses.
Un disciple de l'évangile de Jésus-Christ, c'est déjà quelqu'un qui a beaucoup exercé sa vigilance critique. C'est un douteur par excellence de la marche du monde telle que l'on lui a infligé. C'est d'abord un incroyant radical de toutes les idoles. Et il y en a. Et qui trouve dans l'évangile une force positive pour son énergie critique. Donc, en gros, le doute, il connait. On ne le lui fait pas.
Ensuite, ce disciple n'est pas un soldat abandonné sur un champ de bataille par des généraux qui fument des cigares en consultant des cartes. Celui qui les a invité à aller sur le terrain est sur le terrain avec eux. Il est avec nous jusqu'à la fin du monde
Enfin, si nous voulons être des serviteurs de notre humanité, nous le serons uniquement parce que nous comprenons que nous sommes devenus des hommes et des femmes libres, et que rien, strictement rien, ne nous oblige.
Nous ne sommes, en Christ, les obligés de rien ni de personne.
C'est notre liberté vécue avec ferveur, et notre responsabilité créatrice qui fera que nos actions prendront du sens, et que oui le semeur continuera de sortir pour semer.
AMEN