« Entende qui a des oreilles ! »
Prédication du dimanche 16 juillet 2017, par Antoine Peillon
(sur Matthieu 13 :1-23, en suivant quelques pistes du pasteur Jean-Jacques Müller +)
Temple Port-Royal / Quartier latin
Le semeur est donc sorti pour semer à tous vents. Mais au fur et à mesure que Jésus raconte ce que deviennent les grains qu’il a semés, nous avons la gorge de plus en plus serrée par l’inquiétude ; nous imaginons déjà la déception, voire le désespoir du semeur devant un champ désolé.
Mais tout à coup l’histoire prend une direction inattendue : il reste malgré tout une parcelle de bonne terre, des grains qui lèvent et portent du fruit, au-delà même de ce qu’a pu espérer le semeur : « (…) alors, il porte du fruit et produit l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente… », nous dit le dernier verset de notre évangile d’aujourd’hui.
Et nul d’entre nous ne pouvait prédire ce que tous ces grains semés donneraient comme fruits.
Jean Chrysostome (c. 347 - 409), « bouche d’or », nous le dit si bien : « Dans la parabole du semeur, le Christ nous montre que sa parole s’adresse à tous indistinctement. De même, en effet, que le semeur de la parabole ne fait aucune distinction entre les terrains, mais sème à tous vents, ainsi le Seigneur ne distingue pas entre le riche et le pauvre, le sage et le sot, le négligent et l’appliqué, le courageux et le lâche, mais il s’adresse à tous et, bien qu’il connaisse l’avenir, il met tout en œuvre de son côté de manière à pouvoir dire : « Que devais-je faire que je n’ai point fait ? » (Is 5:4) »
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A la foule qui se tenait sur le rivage du lac de Galilée, Jésus a-t-il seulement voulu parler du travail aléatoire d’un paysan palestinien d’il y a 2000 ans, du combat sans fin qu’il mène avec une terre ingrate, de ses échecs dus à une technique restée trop archaïque et des succès qui, malgré tout, couronnent parfois sa peine et comblent ses espoirs au-delà de toute attente ?
Il est évident que Jésus n’a pas voulu parler de la vie des paysans de son temps, ni donner une leçon sur les sols ou les techniques agricoles. Le mot « parabole » qui définit le récit de Jésus doit nous alerter.
Car qu’est-ce qu’une parabole ? Est-elle une allégorie, une métaphore développée, un exemple servant de moyen de persuasion, un modèle à mettre en pratique, un discours imagé cachant une pensée ? Quelle est sa fonction ?
Dans les Septante (LXX), la version grecque de la Bible juive, parabolè est principalement la traduction du mot hébreu mâshâl. Le mâshâl est une brève maxime facile à retenir, mais porteuse d’un sens plus profond, voire caché, concernant la vie de l’homme ou l’œuvre de Dieu. Ce sens doit être cherché, car Mâshâl peut être synonyme d’énigme, comme dans le Ps 49 : « L’oreille attentive au proverbe (mâshâl en hébreu, parabolè dans les LXX), sur ma cithare, je résous l’énigme. »
Dans le Nouveau Testament, l’emploi de parabolè se limite aux évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) et à l’Épître aux Hébreux. Dans celle-ci (9,9 ; 11,19), parabolè définit une réalité terrestre comme figure ou anticipation d’une réalité céleste à venir.
Le mot est le plus fréquemment employé dans les évangiles synoptiques (17 fois chez Mt, 13 fois chez Mc et 18 fois chez Lc) où il désigne un discours de caractère comparatif, donnant une expression complète et imagée à une pensée, mais qui à cause de son côté mystérieux appelle, selon l’opinion les évangélistes, une interprétation.
Dans la mesure où elle est une métaphore originale, elle suggère donc un excès de sens, un sens ouvert ; elle est une création poétique qui fait advenir un autre monde et non un simple exemple destiné à persuader.
Au risque d’être reçue comme symbole ésotérique, accessible aux seuls initiés...
D’où notre besoin d’illumination, et de prédication.
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« Entende qui a des oreilles ! » Et : « Vous donc, écoutez la parabole du semeur ! »
Qu’a donc voulu dire Jésus par la parabole du semeur ?
Si, comme la foule à laquelle s’est adressé Jésus, nous n’avions entendu que l’histoire du semeur, nous serions bien en peine de deviner le sens caché de cette histoire. Jésus a beau nous interpeller « Entende qui a des oreilles ! », son interpellation dit bien qu’il y a un sens à chercher, quelque chose à comprendre, mais elle nous laisse démunis face à ce que nous percevons comme une énigme, comme un mystère.
Bien sûr, en tant qu’auditeurs ou lecteurs de l’évangile, nous sommes moins démunis que la foule qui se tenait sur le rivage du lac pour comprendre la parabole du semeur. A l’instar des disciples, nous avons reçu, à la fois de Jésus et de l’évangéliste, des clés qui nous permettent d’accéder au sens véritable de la parabole de Jésus.
Nous avons au moins trois clés dans nos mains.
La première, c’est le décryptage de la parabole du semeur que Jésus a donné lui-même à ses disciples. Décryptage que Matthieu a reçu de Marc et de la tradition de l’Église primitive. Nous allons y revenir.
La seconde, c’est l’ensemble des sept paraboles que Matthieu a regroupées au chapitre 13 de son évangile. Elles s’éclairent mutuellement et la parabole du semeur prend son sens du fait de son insertion dans cet ensemble soigneusement composé par l’évangéliste (il faudrait le lire en entier pour se rendre compte que la parabole du semeur n’est qu’une perle parmi d’autres et qu’elle forme un collier avec d’autres paraboles).
La troisième clé, la plus importante sans doute, consiste à faire le lien entre l’histoire du semeur que raconte Jésus et l’évangile qui est l’histoire même de Jésus : n’y aurait-il pas comme une ressemblance, une résonance, entre ces deux histoires ?
Pendant sa vie, Jésus a fait des paraboles sur Dieu. Par la suite, les évangélistes ont raconté l’histoire de Jésus comme Parabole de Dieu.
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Au fur et à mesure que nous recourons à ces trois clés, que nous propose l’évangéliste Matthieu, une compréhension plus vaste de la parabole du semeur s’ouvre à nous. La parabole n’a pas qu’un seul sens, qu’on pourrait fixer une fois pour toutes dans une explication, mais elle est riche de sens multiples que l’auditeur ou le lecteur perçoit au fur et à mesure qu’il avance dans la compréhension de Jésus et de son message sur le Royaume de Dieu. La parabole est une invitation à se mettre en route.
Et à en finir avec l’ésotérisme !i Car « il n’y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu » (Luc 12 : 2).
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« Vous donc, écoutez la parabole du semeur » : en expliquant la parabole aux disciples, Jésus l’applique aussi à eux ; ils sont personnellement concernés par l’histoire du semeur.
Ils ont entendu la parole du Royaume, mais font-ils partie de ceux qui entendent et ne comprennent pas ou, au contraire, de ceux qui entendent et comprennent ? Jésus veut les amener à s’interroger. Il les invite à s’identifier à plusieurs personnages. Pas à pas…
D’abord à celui qui n’a pas laissé la Parole pénétrer en lui, qui n’a même pas cherché à la comprendre. Chez celui-là, le Malin a fait le reste : la Parole s’est envolée, comme des grains emportés par les oiseaux.
Ensuite, Jésus fait défiler deux personnages auxquels les disciples peuvent plus facilement s’identifier :
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d’abord, il y a « celui qui a été ensemencé en des endroits pierreux », l’homme d’un moment, qui se laisse émouvoir, qui s’enthousiasme volontiers, mais qui ensuite ne réfléchit pas à la Parole qu’il a entendue,
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puis vient « celui qui a été ensemencé dans les épines », l’homme qui se laisse accaparer par les soucis de toutes sortes et par les affaires du monde ; celui-ci ne laisse pas à la Parole qu’il a entendue l’espace dont elle a besoin pour se développer, pour grandir,
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enfin, voici « celui qui a été ensemencé dans la bonne terre », c’est-à-dire « celui qui entend la Parole et comprend »…
Et c’est celui-ci qui « porte du fruit » !
Car la compréhension de la Parole n’est pas une fin en soi, elle doit déboucher sur des comportements et des actes qui témoignent de la venue du Royaume des cieux dans le monde, monde qui est appelé à devenir une bonne terre fertile en fruits de justice et de bonté.
Entendre, comprendre et agir en conséquence : c’est le triangle évangélique !
La parabole du semeur et les exhortations de Jésus à ses disciples doivent donc être entendues dans la perspective du dessein salvateur de Dieu pour le monde, pour la terre qu’il a créée et bénie, ainsi que dans celle de notre participation à ce dessein du salut.
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Jésus ne raconte pas seulement la parabole, il est aussi le semeur dont parle la parabole. Il est le sauveur. A ce titre, il y a une similitude entre la parabole du semeur et l’évangile tout entier qui lui aussi parle de Jésus.
La parabole du semeur comprise comme histoire de Jésus présente cette histoire comme tissée d’incompréhension et d’échecs. Les disciples et à plus forte raison la foule peuvent s’interroger sur la nature et l’authenticité de la mission de Jésus.
Et toi, ma sœur, mon frère, ne t’interroges-tu pas aussi ?
Comme l’évangile en son entier, la parabole est une invitation à connaître et à comprendre Jésus, à comprendre son histoire comme une histoire par laquelle Dieu fait advenir son Royaume et sa justice, comme une histoire dans laquelle s’accomplissent les promesses des prophètes. Car Jésus, le Fils de l’Homme, a semé au cœur de notre monde l’espérance de la Résurrection.
Nous ne pouvons l’entendre, le comprendre et agir en conséquence que pas à pas, progressivement, en marchant sur le chemin de Jésus-Christ.
Car « ce n’est pas de la même manière que tous nous allons à lui, nous souffle le merveilleux Origène (v. 185 – 253), maître des quatre sens de l’Ecriture, mais chacun y va « selon ses propres capacités » (Mt 25:15). Ou bien c’est avec les foules que nous allons à lui, et il nous nourrit en paraboles pour que nous ne défaillions pas à jeun sur la route (Mc 8:3). Ou bien nous restons sans cesse à ses pieds, ne nous préoccupant que d’écouter sa parole, sans jamais nous laisser troubler par les multiples soins du service (Lc 10:38s)... Mais si, comme les apôtres, sans nous éloigner jamais, nous « demeurons constamment avec lui dans toutes ses épreuves » (Lc 22:28), alors il nous explique en secret ce qu’il avait dit aux foules, et c’est avec plus de clarté encore qu’il nous illumine (Mt 13:11s). »
Alors se propose l’ascension ultime de l’homme : « Enfin, s’il trouve quelqu’un capable de monter avec Lui jusque sur la montagne, comme Pierre, Jacques et Jean, celui-là n’est plus illuminé seulement de la lumière du Christ, mais de la voix du Père lui-même. »
La voix du Père nous est alors donnée, par la grâce seule, dans la lumière du Christ, dans le geste large de Jésus-le-Semeur.
Et ce matin, qu’a-t-il aussi semé dans nos cœurs ? Le bon grain, n’en doutons plus !
Amen !
i Dans La Fin de l’ésotérisme (1972), Raymond Abellio affirme : « Le problème clé de l’ésotérisme en même temps que sa fin est la transfiguration du monde dans l’homme, (…) la recréation transfigurante du monde dans l’homme. (…) Alors naît, au-delà du Moi banal prétendument distinct et autonome, le sentiment puissant de la globalité et de l’unité, qui est participation de ce Moi lui-même à l’interdépendance universelle. (…) La participation consciente et permanente à l’interdépendance universelle est l’achèvement en l’homme du mystère de l’incarnation. C’est par cette dernière expérience, qui est initiatique, que l’homme est introduit à un mode entièrement nouveau d’existence. En dehors d’elle, il n’y a pas à strictement parler d’ésotérisme. Et, dans cette expérience, tout ésotérisme en fait s’abolit. »