Prédication courte
Pour cette méditation, j'ai pensé à Gabriel. J'ai pensé à sa fonction. C'est un ange. Et je me suis dit qu'il avait de la chance d' « être un ange ». Non pas pour pour ses éventuels pouvoirs particuliers. En l'occurence dans l'ancien testament et aussi dans le nouveau, il est celui qui annonce à la fois la fin d'un temps et l'aube d'un temps nouveau.Non, j'ai pensé à sa qualité d'ange. J'ai remarqué qu'être un ange permettait de ne pas subir de procès en non existence. Un ange, ça vole entre le ciel et la terre, entre notre imaginaire et les textes et on convient facilement facilement qu'ils existent. Certes qu'ils n'existent peut-être qu'en tant que personnage mythologiques ou légendaires mais on les agresse rarement avec des sommations à exister ou à ne pas exister. Certains y croient vaguement, d'autre vraiment, d'autres aiment à les retrouver dans les textes, d'autres aiment bien appeler leur enfant « Gabriel » qui signifie « force de Dieu » . Mais enfin, être un ange permet d'échapper à tous les procès de la Raison. Bienvenu Gabriel dans l'interstice chaleureux de notre psychisme qui t'accueille bien volontiers, parce que tu as la qualité qu'on pourrait assimiler à de la bienveillance à notre égard : tu existes et tu n'existes pas en même temps.
Ce qui n'est pas le cas pour Dieu, toujours sommé à ÊTRE ou à ne pas Être. Sans aucune possibilité de glissement d'un état vers un autre. La cause de tout cela est sans doute que contrairement aux anges, Dieu lui même va rarement au contact. « Personne n'a jamais vu Dieu » dit l'évangéliste Jean. Contrairement à un ange comme Gabriel, qui va parler au prophète Daniel et qui va envoyer des messages surprenants à Élisabeth la stérile, et à Marie la jeune fille et qui plus tard ira , sous le nom de Djibril, dicter le Coran à Mohammed . De la sorte, un ange existe spontanément en tant que littérature et imprime une sorte de marque. Je prends un exemple pour illustrer. Il est arrivé que des gens m'ont demandé ou habitait le Père Goriot rue Tournefort. Oui, il habitait rue Tournefort. Mais y habitait-il vraiment ? Vous voyez ce que je veux dire ?
Dieu lui semble n'habiter nulle part. Et ce Jésus qui va naître non plus. Le nombre de procès en non existence qu'on lui a fait de la fin du 19 e siècle jusque dans les années 90 est impressionnant. Aujourd'hui, il n'y a plus d'historien sérieux y compris agnostique qui conteste le fait même que cet enfant est venu au monde, qu'il a grandi, qu'il a parlé, soigné, prêché, et qu'il a été jeté sur une croix comme un fauteur de troubles.
Jésus n'était pas un ange – comme en témoigne d'ailleurs les récits fabuleux et apocryphes de sa petite enfance – et aussi les récits canoniques, qui racontent qu'il était un peu plus que quelqu'un avec une mission déterminée et univoque, qu'il était un peu plus qu'un soumis. Sans doute s'il avait été un ange, sa vie aurait été plus facile.
Alors, oui, je suis troublé. Je suis troublé à Noël par ce petit être de chair et de sang, emmailloté dans une crèche, certes revêtu par de nombreuses codes littéraires des naissances des héros, mais néanmoins un enfant qui va devoir grandir et comprendre son monde, et à qui on ne va faire aucun cadeau- sinon de l'or, de l'encens et de la myrrhe , mais vous conviendrez que ce n'est pas le genre de cadeau susceptible d'être apprécié par un bébé.
Il faut dire que l'idée chrétienne originelle est très forte. Elle vient casser le code général de la religion qui se contente de croire dans une région limbique où les dieux, les anges, les puissances célestes existent et n'existent pas en même temps. Un très grand grenier littéraire où l'on trouve de tout, des choses qui peuvent servir et d'autres qui ne servent à rien mais dont on aime la vertu de décoration. Là, c'est juste un être humain. Un vrai enfant. Comme si ce Dieu qu'on ne voit pas avait décidé de franchir la frontière de notre imaginaire fécond. Si le Verbe se fait chair, ce n'est plus la même histoire.
Il est là. Il a été dit de lui qu'il porte l'espérance de l'humanité. Chaque année, on en parle. Chaque année on le célèbre. Mais contrairement à ce qu'on imagine, cela ne fait pas si longtemps qu'il est né. Chaque année, c'est peut-être la bonne. Chaque jour, la bonne nouvelle de Dieu peut se faire chair. C'est nous qui l'avons dans nos bras. Nous pouvons l'abandonner. Ou non. Retourner dans notre imaginaire. Ou pas.
25 décembre
Vous regarderez chez vous l'évangile de Jean, son prologue.
Vous y trouverez d'abord une belle déclinaison, de la parole en vie, de la vie en lumière.
Vous verrez cette Parole se transformer en lumière. Vous vous direz peut-être « quel rapport ». Mais vous trouverez ça agréable à penser. Une Parole qui se transforme en lumière, une parole qui permet de voir. Une parole sans doute difficile à entendre, parce qu'elle est Dieu, mais qui, se transformant en lumière, permet de voir, de voir ce qu'il y a à voir , ce qu'il y a besoin de voir. Ou qui, doit être vu. Votre voisin par exemple. Ou un enfant qui nait.
Vous regarderez chez vous l'évangile de Jean, son prologue, et vous y trouverez aussi du ressentiment, voire de la tristesse. Vous verrez que cette lumière, qui est décrite comme la mère du monde n'est pas accueillie dans ce monde. Vous vous direz sans doute que c'est triste. Et comme on le fait souvent à Noël vous regarderez votre monde et vous vous direz : en effet.
Mais vous ressentirez aussi que peut-être dans ce monde il y a vous, vous et votre désir de cette lumière – cette lumière particulière qui est le résultat de la transformation d'une Parole impossible à concevoir et à entendre parce que c'est Dieu cette Parole, mais une lumière qui permet de voir ce, celui, celle, qui doit être vu.e .
Alors peut-être cette phrase là, du prologue de Jean sera pour vous : « mais à tous ceux qui l’ont reçue,elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu »
Le pouvoir d'être enfant de Dieu. Vous ne savez pas exactement ce que ça veut dire. Mais cela vous enchante. Cela vous porte.Voilà un arbre généalogique sur lequel vous ne pouvez rien dire, n'avez rien à dire ou à redire. Quel est ce pouvoir ? Sans doute d'utiliser la lumière pour voir. Ça n'a pas l'air plus compliqué que ça.
Vous continuerez peut-être cette lecture du prologue de Jean – texte célèbre, tellement lu d'une façon pompeuse, tellement commenté, tellement philosophique n'est ce pas que malgré sa beauté, il vous a toujours repoussé. Il y a des beautés qui repoussent, ça arrive. Mais cette fois, vous le regarderez tranquillement et vous verrez qu'après être celle qui contient la vie, celle qui devient la lumière, cette Parole – tellement grande, tellement haute, tellement divine..devient « chair ». Qu'elle devient chair et qu'elle plante sa tente parmi nous.
Vous serez troublé par l'utilisation de ce mot « chair ». Et vous chercherez ce que ça veut dire. Vous trouverez alors que même à l'époque de l'écriture de Jean, c'était une façon assez provocatrice de dire les choses, des choses qui semblent de voir être dites. Chair cela désigne l'être en tant que vivant, avec tout ce qui va avec la vie. La circulation du sang et du souffle, les émotions qui accélèrent ou ralentissent cette circulation. Chair. Alors là, on n'est plus dans le concept. Vous découvrirez que cette Parole qui était devenue lumière nous permettant entre autres de voir s'éclairer un chemin, vous découvrirez que désormais cette parole a un cœur qui palpite.
Vous verrez que dans deux évangiles sur les quatre cette parole devenue chair est un bébé.
Dans ce livre là, de Jean, vous verrez que cette parole devenue chair plante sa tente chez nous.
Mais cela revient au même.
Dans deux évangiles sur quatre, vous serez invités à prendre un bébé dans vos bras comme s'il était le vôtre et la personne qui vous aurez tendu ce bébé aurait disparu et vous voilà avec un bébé dans sur les bras. Qu'allez vous en faire. Le garder ? L'abandonner ? Le remettre à quelqu'un d'autre ?
Dans cet évangile de Jean, vous serez invité à entrer sous cette tente et à rencontrer cette parole devenue lumière devenue chair, devenue vivante.
Vous vous direz peut-être alors que l'évangile de Jean est d'une écriture folle, et vous aurez sans doute raison. Il fallait sans doute une écriture particulière – je dirais émancipée – pour dire quelque chose de l'événement qu'on a appelé plus tard Noël.
Et puis vous finirez votre lecture de ce prologue.
Et le dernier mot que vous lirez sera le mot vérité, donc vous découvrirez peut-être
qu'en grec il signifie « non oubli » .
Et vous vous direz peut-être évidemment, car tout cela n'est qu'une histoire de possibilité, vous vous direz peut-être que puisque cette Parole devenue lumière devenue vivante ne vous a pas oublié, vous n'allez pas non plus, vous, l'oublier.