Lectures Esaïe 63 – 16- 19
63:16 Tu es cependant notre père, Car Abraham ne nous connaît pas, Et Israël ignore qui nous sommes; C'est toi, Éternel, qui es notre père, Qui, dès l'éternité, t'appelles notre sauveur.63:17 Pourquoi, ô Éternel, nous fais-tu errer loin de tes voies, Et endurcis-tu notre coeur contre ta crainte? Reviens, pour l'amour de tes serviteurs, Des tribus de ton héritage!63:18 Ton peuple saint n'a possédé le pays que peu de temps; Nos ennemis ont foulé ton sanctuaire.63:19 Nous sommes depuis longtemps comme un peuple que tu ne gouvernes pas, Et qui n'est point appelé de ton nom... Oh! si tu déchirais les cieux, et si tu descendais, Les montagnes s'ébranleraient devant toi,
Lecture Marc 13 33 – 39
13:33 Prenez garde, veillez et priez; car vous ne savez quand ce temps viendra.13:34 Il en sera comme d'un homme qui, partant pour un voyage, laisse sa maison, remet l'autorité à ses serviteurs, indique à chacun sa tâche, et ordonne au portier de veiller.13:35 Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, ou le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin;13:36 craignez qu'il ne vous trouve endormis, à son arrivée soudaine.13:37 Ce que je vous dis, je le dis à tous: Veillez.
Prédication
Le texte de Marc incite à veiller. Le prédicateur confronté à ce texte peut se sentir obligé. Il doit avertir son Eglise du danger de l'endormissement. Ou il doit la réveiller. Mais attention, d'abord ce prédicateur là – ou n'importe quel spécimen qui monte sur un escabeau pour dénoncer fait aussi partie de l'humanité qu'il dénonce. En l'occurence, celui-ci pourrait parler en dormant ou rêver à haute voix ou être somnambule.
Néanmoins, il faut le comprendre. Avec un texte pareil, que dire d'autre ? Que faire d'autre avec un texte pareil, que de vouloir « réveiller tout le monde » tel un adjudant de cinéma déboulant dans une chambrée de jeunes recrues.
Que faire sinon évoquer nos grands ancêtres du « réveil » protestant du 19e siècle ? Ce réveil qui a sauvé un protestantisme embourgeoisé et décadent. Par le retour du sentiment contre une rationalité aride. Par le retour d'une saine doctrine face à une supposée dérive. Ce mouvement de réveil a rempli des églises.
Que faire, sinon prendre en exemple, puisque entre temps les églises se sont désemplies , ce nouveau courant auto proclamé revivaliste, « de réveil » qui a certains endroits remplit de nouveau nos Eglises. Que faire sinon réintroduire du sentiment, de la sensation, du feeling. Que faire sinon remettre l'expérience religieuse au centre comme l'ont fait tous nos ancêtres de tous les réveils.
Mais il existe une différence réelle entre le courant actuel et le réveil du XIX. Ce qui est nouveau, c'est son caractère fondamentaliste.
Alors, parlons en du fondamentalisme. Il a été très bien défini, en tous les cas pour le protestantisme par un bibliste écossais du 20e s. nommé James Barr, qui a écrit un ouvrage sur ce sujet et je cite :« (a) un accent très marqué sur l'inerrance de la Bible, l'absence en elle de toute sorte d'erreur (l’inerrance) ; (b) une forte hostilité à la théologie moderne et aux méthodes, résultats et implications de l'étude scientifique et critique de la Bible; (c) une assurance que ceux qui ne partagent pas leur point de vue religieux ne sont absolument pas de "vrais chrétiens" » Il dit aussi que cette prétendue justification par la Bible n'est qu'un paravent pour une pensée ultra conservatrice.Si j'avais été ce prédicateur là, pour moi ce matin (cet après-midi) tout aurait été simple, je nous aurais invité, après avoir suggéré que nous nous serions assoupis, à redevenir vigilants. Vigilants, certes auprès de Dieu qui peut revenir à tout instant comme disent les Ecritures, mais vigilants devant l'état de sa maison en déshérence, vigilants face aux désordres de toutes sortes.
La prédication aurait été simple et bonne et juste. J'aurais été content. Vous aussi peut-être de recevoir une exhortation à garder les yeux ouverts. Et cette prédication aurait même pu même porter du fruit. Et j'aurais dit Amen.
Et je m'en serais allé en paix, tel Siméon, après avoir avoir reconnu le Christ dans ce petit bébé qu'il avait pris dans ses bras au moment où l'enfant a été consacré au Temple.
Continuons dans cette tentative un peu risquée de remonter la pente d'une interprétation spontanée . Que j'aurais bien aimé suivre. Parce que c'est plus facile de dévaler une pente.
Petit problème, anecdotique. L'identification du maitre de maison à Dieu n'est pas si « évidente » . Cela dit que Dieu est parti en voyage. Un prédicateur du réveil, dans ses autres prédications, n'aurait jamais suggéré que Dieu puisse partir en voyage (et d'ailleurs pour aller où, s'il est comme on le dit, omniprésent, il lui est difficile de bouger). Au contraire ce type de prédicateur présente en général un Dieu très présent. Surveillant. Le concept d'un Dieu « partant en voyage » n'est pas conforme avec une certaine ligne. Un fondamentaliste de n'importe quelle religion n'avouera jamais que « Dieu est parti en voyage » (et qu'il a dérobé les clés de la maison).
Autre problème, moins anecdotique. Il est difficile de dire à des gens qui ont fait l'effort de venir au culte – car c'en est un et ça personne ne peut le nier – qu'ils sont endormis, voire coupables d'avoir laissé leur Eglise s'endormir. Plus profondément, prêcher l'évangile ne consiste pas à culpabiliser les gens. Si certaines Eglises se vident, ou d'autres se remplissent, bien d'autres facteurs sont en jeu.Ce n'est pas le lieu ici d'en faire la liste, mais il y en un qui m'apparait majeur, et qui est rarement évoqué par justement ceux déplorent la faiblesse aujourd'hui de ce qu'on appelle les Eglises historiques.
Nous n'avons plus le même imaginaire que les premiers chrétiens dont on constate le déploiement et la ferveur dans la nouveau testament et historiquement dans les siècles qui suivent le ministère de Jésus.
Leur ferveur, leur résistance aux persécutions, leur créativité théologique, ecclésiologique venaient par exemple, qu'ils croyaient la fin des temps « proche », certes pas datable mais, imminente. En d'autres termes, ils n'avaient rien à perdre en témoignant. Certes on pourrait rétorquer que nous aussi, devant toutes ces images d'ours polaires qui se rapprochent de nos villes, nous serions peut être nous en train de rebâtir cet imaginaire de « fin des temps proche ». On évoque l'année 2050. C'est proche. Mais cela n'a pas grand chose à voir.
Nos premiers croyants au Christ croyaient pour la plupart d'entre eux, qu'ils allaient être « enlevés » dans une première résurrection. Ils croyaient qu'après cet enlèvement un règne de 1000 ans (le fameux millénium) allait se faire. Ils croyaient qu'ensuite une nouvelle vague de résurrection allaient survenir, séparant ceux qui auraient tenu, de ceux qui n'auraient pas tenu. C'est ce qu'on appelle le « millénarisme ». Dans leur imaginaire, il y avait ça.
Dans le nôtre, « ça » n'y est pas. Les courants millénaristes ont toujours existé, sous diverses formes, y compris politiques et ont toujours été persécutés par une Eglise qui au fil des siècles a transformé l' attente proche en attente lointaine, et s'est institutionnalisée pour survivre à la déception de cette attente en construisant un nouvel imaginaire. Mais au début du christianisme, ce courant était un des moteurs de la ferveur et de l'impatience.
Nos premiers croyants au Christ croyaient aussi à la résurrection de la chair. Non pas parce que leur maître avait été ressuscité. Ils y croyaient avant. Parce que tout un courant porté en provenance de la Perse et porté par les pharisiens très influents diffusait cette croyance.
Avant ça, on croyait que les gens à leur mort restaient comme des ombres dans le trou où on les avaient mis. Un trou, où pour l'éternité, on devait mener une existence morne. Un lieu, inférieur , où quand même, assez rapidement une espérance a quand même pointé, une attente, un retour, de celui qui allait revenir, revenir réveiller ressusciter tous ces abandonnés. Pour les premiers chrétiens, il a été cru très tôt, non pas que Jésus était descendu aux enfers – mais dans le shéol, devenant aussi victorieux que le Dieu d'Israël sauvant son peuple, ressuscitant les ossements du prophète Ézéchiel. Devenant , ce faisant, le nouveau Rédempteur pour ce peuple, juif.
Cette croyance, figure encore dans nos confessions de foi, mais elle ne fait plus partie de notre imaginaire.
Je veux dire par là que même si nous y croyons encore, les premiers croyants au Christ eux, ce n'est même pas qu'ils y croyaient. Pour eux, il s'agissait d'un savoir positif, comme l'existence de ces bancs, de ce micro, de ce Temple.
Donc quand cet appel à veiller était entendu, il était entendu par des gens qui habitaient dans cet imaginaire là. Qui savaient que « le moment » allait venir bientôt. Qui connaissaient la prophétie d’Ézéchiel. Qui connaissaient l'émerveillement de Siméon qui prend ce bébé dans ses bras. Qui avaient entendu parler d'un fils de l'homme. Qui savaient ce qu'était la vie dans le Shéol. Et qui « savaient » qu'ils allaient être enlevés, et que peut être, pendant mille ans,, ils allaient gouverner avec leur Christ .
Alors, oui, « veiller » dans ce cas, ça vaut la peine, certainement.
Alors nous aujourd'hui nous ne sommes plus dans cette « maison imaginaire là ». Pourtant nous nous nourrissons de textes qui eux y habitent encore. Donc la première des choses que nous devrions faire, ce n'est pas d'abord étudier les textes bibliques, mais comprendre dans quelle maison imaginaire nous habitons.Maison au singulier. Maisons au pluriel. Et ensuite, quand nous en aurons identifié les contours, nous pourrons proclamer la bonne nouvelle en ayant une chance qu'elle retrouve un écho. Ne serait ce que pour nous mêmes.
Et il y a un dernier effort à faire. En même temps, il faut remettre de l'ordre dans notre imaginaire de croyant. Vous ne vous en doutez pas, mais c'est un inventaire très mal rangé. Il faut faire l'effort de distinguer ce qui est de l'ordre du savoir, de la croyance, et de la pensée. Les fondamentalistes nous impressionnent avec leur capacité de faire croire qu'ils savent. Alors que nous, nous ne serions que des frêles brebis qui doutent et qui ne font que croire.
Je vais partager deux ou trois exemples pour finir. Mon témoignage.
Moi, je ne crois pas que Dieu existe. Je sais qu'il existe, et j'ai confiance en lui. Ce savoir, même s'il est contestable, est un socle. Je ne doute pas de cela. Je ne sais pas grand chose de plus de ce Dieu, que je préfèrerais appelé la personne plutôt que « Dieu ».
Je sais aussi que Jésus a existé. Qu'il est né, qu'il a prêché. Qu'il a été crucifié.
Je sais que des gens après sa mort ont proclamé qu'il avait été ressuscité, c'est à dire, réveillé, relevé. Je sais que cette proclamation a engendré le mouvement des croyants au Christ qui est le plus grand phénomène religieux de l'histoire. Est ce que je crois qu'il a été ressuscité ? Peut être que j'y crois. Est ce que je le sais ? Non. Est ce que cela nourrit ma confiance ? Oui. Je le sais.
Je sais que la Bible est un livre complexe et merveilleux, pour la foi, pour l'intelligence, pour le partage, pour la croissance de l'Eglise. Est ce que je crois que c'est la Parole de Dieu ? Non. Je suis un bon calviniste. Mais je crois que la Parole de Dieu la traverse.
Et puis il y a une troisième catégorie, il y a ce que je crois, ce que je sais, mais aussi ce que je pense. Ce que je pense devoir comprendre, devoir dire, et devoir faire.
Tant que chacun n'a pas fait cet effort de rangement , il pourra être considéré comme « endormi ». Ou pas encore éveillé. Ou pas encore né. Dès que cet examen est fait, en revanche, l'état de veille devient permanent, il n'y a plus à se forcer. Tout devient intéressant et adapté à notre nouvelle maison imaginaire.
Et même si le maitre de maison revient, après ses 2000 ans de voyages, nous serons éveillés. Et la Maison sera bien rangée.
AMEN.