2 Rois 5, 14-17
14 Alors Naaman descend dans le Jourdain. Il plonge sept fois dans l'eau, comme Élisée l'a commandé. Sa peau est de nouveau comme celle d'un petit enfant, et il devient pur.
15 Naaman retourne chez l'homme de Dieu avec tous ceux qui sont avec lui. Il se tient devant lui et dit : « Maintenant, je le sais, sur toute la terre, il n'y a aucun Dieu, sinon celui d'Israël. Je t'en prie, accepte le cadeau que je t'offre. »
16 Élisée répond : « Par le SEIGNEUR vivant que je sers, je n'accepterai rien. » Naaman insiste encore, mais Élisée refuse.
17 Alors Naaman dit : « Puisque tu refuses tout cadeau, permets-moi au moins d'emporter de la terre de ce pays. J'en ferai charger deux mulets. En effet, j'offrirai des sacrifices complets et des sacrifices de communion seulement au SEIGNEUR, et non plus à d'autres dieux.
Luc 17.11-19
11 Jésus marche vers Jérusalem. Il traverse la Samarie et la Galilée.
12 Il entre dans un village, et dix lépreux viennent à sa rencontre.
13 Ils restent assez loin de Jésus et ils se mettent à crier : « Jésus, maître, aie pitié de nous»
14 Jésus les voit et il leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » Pendant qu'ils y vont, ils sont guéris.
15 Quand l'un d'eux voit qu'il est guéri, il revient et, à pleine voix, il dit : « Gloire à Dieu ! »
16 Il se jette aux pieds de Jésus, le front contre le sol, et il le remercie. Cet homme est un Samaritain.
17 Alors Jésus dit : « Tous les dix ont été guéris. Et les neuf autres, où sont-ils ?
18 Parmi eux tous, personne n'est revenu pour dire “Gloire à Dieu”. Il n'y a que cet étranger ! »
19 Et Jésus dit au Samaritain : « Lève-toi, va, ta foi t'a sauvé. »
La lèpre, au temps du prophète Elisée. La lèpre au temps de Jésus.
Ici, maintenant, nous sommes loin de la lèpre, et cela ne nous dit peut-être pas grand chose. Il est cependant beaucoup de nos contemporains pour qui cela reste un mal terrible. Lisez les publications de la Mission évangélique contre la lèpre, une association qui aide à soigner les personnes atteintes de cette maladie, encore nombreuses, notamment en Afrique, car la lèpre, aujourd’hui, se guérit, et vous verrez. On estime qu’il y a actuellement près de trois millions de lépreux dans le monde.
Il est donc utile de faire quelques rappels, pour bien comprendre ces textes.
La lèpre, c’est une maladie infectieuse, causée par un bacille assez proche de celui de la tuberculose. C’est une maladie contagieuse, donc. Une maladie insidieuse, aussi, parce que son incubation est longue et silencieuse, et peut durer 5 ans. Parfois les premiers symptômes peuvent mettre vingt ans à apparaître. C’est, pour sa forme la plus grave (il en existe une autre, qui peut disparaître d’elle-même) une maladie très invalidante, qui entraîne des lésions cutanées, qui peuvent toucher le visage, les membres, puis atteindre le système nerveux, les cartilages, les os, les viscères, tout le corps. Par des poussées fébriles et douloureuses successives, elle tue en dix ou vingt ans. On vit longtemps, donc, et très mal, de plus en plus mal, avec la lèpre. Et si, comme je l’ai dit, elle se guérit maintenant, ce qui n’était pas le cas au temps de Jésus, le traitement, d’une poly-chimiothérapie par antibiotiques, n’est pas non plus une partie de plaisir, et il dure longtemps lui aussi.
La lèpre, ce n’est donc pas rien, pour celui qui en est atteint.
D’autant plus que, compte tenu de ce que cette maladie est hautement contagieuse, les sociétés ont de tout temps tout fait pour s’en protéger. Le peuple juif ne fait pas exception à cette règle. Les longs chapitres 13 et 14 du Lévitique, qui s’inscrivent dans les instructions sur le pur et l’impur, et évidemment, le lépreux est l’impur par excellence, sont tout entiers consacrés au diagnostic de la maladie (avec des distinctions qui correspondent bien à la distinction des deux formes, plus ou moins graves, de la maladie), diagnostic évolutif, qui comporte plusieurs passages successifs chez le prêtre, au fur et à mesure que les symptômes évoluent, puis à l’exclusion de ceux qui sont atteints de la forme la plus grave « (LV 13, v. 45 et 46) le lépreux ainsi malade doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache recouverte, et il doit crier « Impur ! Impur ! » ; il est impur aussi longtemps que le mal qui l’a frappé est impur ; il habite à part et établit sa demeure hors du camp », et enfin au rituel de purification des lépreux qui sont guéris.
La lèpre, c’est donc aussi l’impureté et l’exclusion radicale de la communauté des hommes.
Une fois que nous avons cela en tête, revenons à notre texte.
On comprend mieux pourquoi les dix lépreux restent « assez loin » de Jésus : pour respecter ces interdits prévus par la loi. On comprend mieux aussi pourquoi Jésus respecte cette distance. Pas par peur de la contagion, mais sûrement par pudeur : les lépreux ne sont pas beaux à voir. Et pourquoi il les envoie se présenter aux prêtres : parce que c’est le cœur du rituel de purification, et donc de réintégration dans la communauté.
On mesure mieux, aussi, l’acte de foi de ces dix lépreux, je dis bien les dix : ils se tournent vers Jésus, qu’ils appellent par son nom, qu’ils qualifient de maître, et qu’ils supplient. Et malgré le caractère discret, pudique, de la réponse de Jésus, qui ne fait rien, pas de geste de thaumaturge, pas de contact, pas même une parole forte (et en cela ce récit se différencie de pas mal de récits de guérisons dans l’Evangile), ils font confiance, et ils obéissent à la seule réponse qui leur est faite : ils se mettent en chemin pour se montrer aux prêtres. Pourtant, au moment où ils s’éloignent, ils ne sont pas guéris. Mais ils y vont quand même. Et, en chemin, nous dit le texte, ils guérissent.
Cette première partie du texte, elle vaut en elle-même. Dix lépreux se tournent vers Jésus. C’est la première chose remarquable : ils n’ont pas peur de se montrer à lui tels qu’ils sont, et de s’en remettre à lui. Ils ne l’ont jamais rencontré, mais ils ont entendu ce qu’on dit de lui. Cet appel est en lui un acte de foi, qui n’est pas facile : nos lèpres à nous, osons-nous les présenter à Jésus ? Pas toujours, sans doute.
Et Jésus, sans faire rien d’autre que d’être lui-même, répond à leur demande, et dans la retenue et la discrétion, leur offre le retour à la santé et la réinsertion au sein du groupe dont ils étaient exclus. Cela, les dix lépreux l’ont vu, avant même que cela se passe, et ils y ont cru, assez pour prendre le risque d’aller présenter pour rien aux prêtres leurs plaies toujours impures. C’est leur second acte de foi. Qu’on ne me dise pas que ces dix là n’ont pas cru ! Qu’ils n’ont pas agi comme des hommes de foi ! Ils n’ont pas attendu de voir, de sentir, d’éprouver. Ils n’ont pas été désarçonnés par la discrétion de la réponse de Jésus. Ils se sont mis en marche sur sa seule parole.
Mais, évidemment, toute la pointe de ce récit évangélique, c’est de séparer ce groupe de dix en deux : neuf plus un. Neuf qui font ce que Jésus leur a dit, et qui, constatant en chemin qu’ils sont guéris, n’ont d’autre priorité que de se montrer aux prêtres, pour obtenir leur réintégration dans le groupe. Ils ont demandé quelque chose à Jésus, et ils l’ont obtenu. Point. Mais, si l’on réfléchit bien ce qu’ils ont obtenu, pour imprévu et extraordinaire que cela soit, c’est un retour à leur vie d’avant, d’avant la maladie et l ‘exclusion. Sont-ils changés, ces neuf là, par leur rencontre avec Jésus ?
Guéris et inclus, sains et purs, ils ne sont que redevenus eux-mêmes.
Alors, le dixième, celui qui rend gloire à Dieu, se jette aux pieds de Jésus et le remercie ?
Dans ce groupe de dix qui ont croisé les pas de Jésus alors que celui-ci traverse les confins de la Galilée et de la Samarie, c’est, semble-t-il, lui, dont le texte nous dit qu’il est samaritain, le seul étranger. Bien sûr, ce n’est pas un hasard, et on sait que Jésus, pendant les trois années de son ministère, a toujours pris un malin plaisir à renverser les frontières établies par les hommes, à lutter contre tous les préjugés, y compris ceux que ses compatriotes juifs pouvaient avoir à l’égard des Samaritains. Ce dixième lépreux, il était, en tout cas, doublement impur, selon les critères du temps.
Ce dixième, il nous faut d’abord admettre qu’il est distingué parce qu’il exprime sa reconnaissance. Les neuf autres, peut-être l’ont-ils fait après, plus tard ? Jésus ne leur avait-il pas dit lui-même d’aller se montrer aux prêtres ? N’était-ce pas la priorité ?
Pour ce dixième, la reconnaissance passe d’abord. Parce que, la reconnaissance, c’est maintenant ou jamais. D’ailleurs, le texte nous le dit, lorsque cette rencontre a eu lieu, Jésus est en route vers Jérusalem. Il ne va pas rester dans ce village innomé à attendre que les prêtres aient fait leur office (lisez le chapitre 14 du Lévitique et vous verrez qu’ils avaient du travail, et que Jésus aurait pu attendre longtemps) et que les neuf reviennent lui rendre grâce.
Ce double mouvement de louange à Dieu et de remerciement à Jésus, pour le dixième lépreux, il ne peut pas, il ne doit pas attendre. En passant, vous noterez que ce double mouvement, c’est une confession de foi christique digne de celle de Thomas (en Jn 20), « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Cette reconnaissance, elle suit la guérison, qui a été donnée, mais elle a priorité sur la réintégration sociale : les prêtres et les cérémonies de purification attendront. Ce qui ne peut attendre, c’est que je dise à cet homme que j’ai croisé, à qui j’ai fait confiance, que j’ai compris qu’il m’a aimé assez pour me guérir, sans rien me demander d’autre, pour me donner gratuitement. Et qu’en agissant ainsi, il a manifesté la gloire de Dieu.
Si le dixième lépreux agit comme il le fait, c’est qu’il a compris qu’il avait vécu une rencontre, une de ces rencontres qui vous change vraiment. Une rencontre qui ne vous conforte pas dans votre être, mais qui vous transforme. Les neuf autres sont redevenus ce qu’ils étaient avant, ils ont pris ce que Jésus leur a donné, et ils sont partis avec. Le dixième, lui, n’est pas seulement guéri et, bientôt, réintégré dans la société.
Une de ces rencontres qui nous font approcher le Royaume de Dieu, ce Royaume, dont, deux versets après notre texte, Jésus va dire aux Pharisiens qui l’interrogent, qu’il ne viendra pas comme un fait observable à un moment donné, de sorte qu’on puisse dire « le voici » ou « le voilà », mais qu’il est là, parmi nous.
Nous recevons tant, nous demandons, ou nous ne demandons pas, mais nous recevons. Mais c’est nous seuls qui pouvons faire advenir le Royaume de Dieu, en reconnaissant ce que nous avons reçu, et que nous l’avons reçu sans le mériter d’aucune sorte, mais simplement par la grâce de cet amour incroyable au bénéfice duquel nous sommes.
C’est comme cela que je veux comprendre la parole finale de notre texte : « Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »
Ta foi t’a sauvé : voilà une formule répétée par Jésus, puis magnifiée par la Réforme qui a affirmé le salut par la foi. Mais, je dois vous l’avouer, c’est pour moi une formule mystérieuse, un patois religieux auquel je ne comprends pas grand chose. Et je pense que, de nos jours, je ne suis pas le seul à m’interroger. Qu’est-ce qu’être sauvé ? Serions-nous donc voués à la perdition, condamnés ? Dans ce monde ? Dans quel autre ? Quel est ce mystérieux pouvoir de la foi ? Croire en Dieu, est-ce une assurance-vie ?
Dans ce texte, pourtant, cette expression mystérieuse prend sens : à travers elle, il me semble que Jésus dit au dixième lépreux quelque chose comme :
« Nous nous sommes rencontrés, tu as compris qu’il advenait quelque chose qui nous dépassait tous les deux, comme il peut advenir dans une rencontre, et en comprenant cela, tu es sorti de ta propre logique égoïste, tu n’as pas vu seulement ta santé recouvrée, ta position sociale restituée, tu as vu ce que peut faire l’amour en actes, tu l’as ressenti non seulement dans ta chair et dans ta tête, mais tu l’as vécu dans ton cœur.
Alors, relève-toi, va : comme je viens de le faire avec toi, en te manifestant concrètement l’amour de Dieu, c’est à toi, maintenant, de faire comprendre aux autres, par ton amour et par tes actes, que le Royaume de mon Père est déjà là. »
Amen