" de telles femmes" prédication du 7 avril 2019

Culte du soir, Robert Philipoussi



Lecture

Jean 8.1-11

1 Jésus se rendit au mont des Oliviers. 2 Mais dès le matin, il retourna au temple, et tout le peuple vint à lui. S'étant assis, il les instruisait. 3 Alors les scribes et les pharisiens amènent une femme surprise en adultère, la placent au milieu 4 et lui disent : Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. 5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes : toi, donc, que dis-tu ? 6 Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur la terre. 7 Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa et leur dit : Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! 8 De nouveau il se baissa et se mit à écrire sur la terre. 9 Quand ils entendirent cela, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés. Et il resta seul avec la femme qui était là, au milieu. 10 Alors Jésus se redressa et lui dit : Eh bien, femme, où sont-ils passés ? Personne ne t'a donc condamnée ? 11 Elle répondit : Personne, Seigneur. Jésus dit : Moi non plus, je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus.]

 

Prédication

 

Je vais donc partir aujourd'hui du début, et le véritable début d'un texte, c'est son contexte. C'est le con-texte qui enracine le texte, c'est le contexte qui donne sa texture au texte et en fait un tissu plus dense.

Et et si ce texte dans l'évangile de Jean n'a pas vraiment de contexte littéraire, puisqu'il semblerait que cela soit un morceau de l'évangile de Luc qui ait été incrusté dans l'évangile de Jean,

son véritable contexte, immédiat, comme toujours d'ailleurs... c'est nous... lecteur , auditeur, interprète potentiel ...

et bien sûr ce contexte, c'est ce que ce lecteur auditeur interprète a dans la tête au moment où il veut entendre, lire, interpréter....

J'ai souvent prêché sur ce texte célèbre, mais jamais le contexte n'a été aussi immédiat. Le contexte de ce récit pour moi, c'est le début de lynchage de Julia, parce qu'elle était transgenre, au métro république, le 31 mars dernier.

Mais comme si cela n'était pas suffisant comme contexte, un homme de 67 ans , richissime, et qui croit à son titre «  Sultan de Brunei » - a décidé récemment de faire appliquer sur son micro état d’Asie du sud Est la lapidation pour l'adultère et l'homosexualité.

Ce contexte me parle d'un monde qui semble constitué de quelque chose qui n'a pas de mot précis pour le définir. Il faudrait inventer un mot qui mêle la tristesse, la bêtise, la violence, l'arrogance et l'injustice.

Ce contexte me parle d'un monde où des gens sont trainés publiquement pour qu'on puisse les abattre collectivement et ce dans un sentiment d'accomplissement du bien.

Ce contexte me parle donc d'un monde où justement l'évangile s'il doit être prêché, doit émerger.

Beaucoup croient que l'évangile- la bonne nouvelle- c'est une façon de décrire positivement le monde.

La plupart des gens croient, jugent que l'évangile est une lecture euphorisante du monde. Vous les chrétiens, vous ne savez pas lire le mal mais comme évidemment vous le ressentez quand même, et bien vous le fuyez , vous vous réfugiez, dans des formules creuses.

 

Mais non, l'évangile c'est d'abord la proclamation de Pâques à savoir : le relèvement d'un corps poussé dans la mort par la tristesse, la bêtise, la violence, l'arrogance et l'injustice.

La force de l'évangile, de l'évangile réel, pas la tournure mignonne de l'évangile, est équivalente à la force de la tristesse, de la bêtise,de la violence de l'arrogance et de l'injustice conjuguées.

Pour que cette force de la bonne nouvelle devienne supérieure, comme elle l'a été pour cette femme prise au piège dans une scène de cirque, ou comme pour cet homme qui a été tué et qui a été relevé d'entre les morts, il faudrait quoi ?

Il faudrait refuser d'obéir à la meute. La meute qui a entouré Julia, qui a été protégée par quelques individualités, et puis par le service de sécurité de la RATP, et la meute dans notre récit du jour qui entoure cette femme- sans nom- surprise en flagrant délit d'adultère.

Une femme, je vous invite à le remarquer, doublement objectivée :

en tant que femme à lapider d'une part, mais aussi en tant que simple prétexte pour piéger Jésus. Une femme qui devient un simple outil d'une controverse entre une meute d'hommes et un autre homme mais qui lui, singulier, va écrire on ne sait pas quoi sur de la terre au lieu d'entrer dans le débat pour savoir s'il faut ou non lapider de telles femmes.

«  De telles femmes ». S'il faut ou non lapider des généralités.

C'est le secret des meurtriers collectifs, ils ne lapident pas des personnes, ils lapident des généralités. Ce faisant, ils ne tuent pas vraiment des gens, mais des thèmes. Des idées.

Cette généralisation thématique des personnes est d'ailleurs la base de toute forme d'abus de pouvoir.

Ici, cette femme n'est rien d'autre qu'un objet dans une controverse. Et ironie du sort, beaucoup de commentateurs entrent dans la casuistique et donc dans la controverse et arguent par exemple que les conditions pour la lapidation prescrite par Moïse n'étaient pas strictement valables dans ce cas car les témoins n'ont pas été entendus, que l'amant n'est pas là non plus. Et ce faisant, ils sous entendent horriblement que si les conditions avaient été réunies, il aurait légal d'abattre cette femme à coup de pierres. Mais non ! Réveillez-vous !

Mais l'humain singulier face à la meute ne va pas entrer dans la controverse. Il y a une femme qui va se faire tuer et cette femme n'est pas une femme de papier , pas un élément d'une casuistique et elle n'est pas une généralité. En d'autres termes, pour Jésus, « la femme adultère » n'existe pas. Le problème de ce texte n'est pas celui que pose les pharisiens : savoir si on lapide ou non de telles femmes. Pourquoi ? Encore une fois, parque de « telles femmes » n'existent pas.

 

Abordons maintenant le passage le plus célèbre de cette histoire.

Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre !

Certains commentateurs s'esbaudissent de l'invention de Jésus qui à ce moment là aurait prononcé une parole qui ne pouvait qu'entrainer une débandade. Déjà parce qu'ils refusent d'entendre ce que cette phrase dit «  pour juger, il faut être juste » et sous entend que seul Dieu étant juste, il est impossible de juger. Ce qui prolongé nous ferait entrer dans un autre monde – ou plus personne ne jugera personne.

Mais dans le vrai monde, les juges n'ont pas à être parfaitement justes.

Parce qu'on ne leur demande pas de faire la justice, on leur demande de juger si des généralités vont pouvoir concerner un individu dont le comportement semble avoir été en rapport avec ces généralités pré- construites.

Puisque personne ne peut d'une façon réaliste envisager ce monde où plus personne ne serait en droit de juger quiconque, les commentateurs sautent donc à pied joints dans l'admiration de la formule elle-même, Ô combien efficace et tranchante pour que tout le monde renonce !

Mais le texte ne dit pas que les paroles de Jésus étaient géniales en soi et qu'elles pourraient s'appliquer ailleurs. Le texte dit simplement que celui ci, l'humain singulier qui refusait d'entrer dans la controverse des généralités, avait une autorité telle que sa simple présence a réussi a faire partir un à un tous les spectateurs de ce spectacle interactif qu'est une lapidation.

Ce texte fortement catéchétique dit que la présence de cet être singulier apparu dans un monde dont les valeurs étaient la tristesse, la bêtise, la violence, l'arrogance et l'injustice, va transformer ce monde là. Ce monde là, ce monde présent, ce monde de généralités, où il n'est pas requis pour les juges d'être justes.

Ce texte parle de la transformation de ce monde et la fin de ce texte est magnifique car elle décrit ce monde transformé..

L'humain singulier, celui qui a écrit on ne sait quoi sur de la terre – une nouvelle loi ? Une nouvelle alliance ? - se retrouve seul avec cette femme.

Eh bien, femme, où sont-ils passés ? Personne ne t'a donc condamnée ? 11 Elle répondit : Personne, Seigneur. Jésus dit : Moi non plus, je ne te condamne pas

 

Ce que le texte dit, ce sont les retrouvailles de ce singulier divin devant l' humanité, pécheresse et accusée (en grec : catégorisée),

mais qui ne sera pas condamnée

Il est intéressant d'ailleurs de voir que l'humanité ici, celle qui ne sera plus jamais sous le jugement, cette humanité, seule face à son Dieu a désormais les traits d'une femme.

Lorenzo Lotto
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