LES TEXTES DE LA LITURGIE

ORGUE, par EMMANUEL MANDRIN
LA SALUTATION
L'humain dans le sens collectif a toujours procédé ainsi: face à un phénomène qu'il constate, par exemple celui de se retrouver assemblé quelque part sans s'être concerté, il va comprendre ce phénomène en le « situant » avec son imaginaire
Ainsi, on pourrait imaginer que l'assemblée que nous formons ce matin vient de loin et sans doute de ces croisements de semi nomades qui se retrouvent à une oasis, se nourrissent, s'abreuvent, commercent, et repartent
Ils y sont pas venus par hasard, mais pas non plus comme s'il y avaient été durement convoqués mais simplement parce qu'ils y ont été appelés, orientés, par la tradition de leurs ancêtres, ou par la rumeur, et aussi bien sûr, par la nécessité, le désir, leur soif.
Ce phénomène se produit partout, tout le temps, depuis toujours. Au théâtre, au cinéma, à une fête, à une manifestation, tous ces phénomènes où s'assemblent des gens qui ne se sont pas explicitement et tous concertés pour le faire, mais où tous ont entendu un appel qui les a, si j'ose dire, « concertés »
Dans une oasis digne de ce nom, il y a toujours des sédentaires qui sont là pour accueillir les voyageurs.
Nous, les croyants en Jésus reconnu Christ, les chrétiens, quoi, nous avons appelé notre phénomène à nous: l'ÉGLISE, assemblée issue d'un appel.
Et le sédentaire en l'occurence, c'est Dieu qui nous accueille en nous offrant grâce, liberté, et paix
Bienvenus dans ce temps de repos qui est le culte.
AMEN
[DEBOUT]
LA LOUANGE [LECTEUR]
Notre Dieu,
Nos coeurs sont joyeux de te savoir présent
Merci de nous donner ce jour pour nous reposer et célébrer ton nom.
Merci pour ton appel qui donne sens à notre existence
Merci pour les frères et les soeurs
avec qui nous marchons, avec qui nous parlons, mangeons, buvons,
avec qui nous stationnons un moment ou avec qui nous nous établissons pour un peu plus long moment de vie,
Merci pour les frères et les sœurs, que nous sommes et que nous devenons en nous reconnaissant ensemble capables d'annoncer la bonne nouvelle
Merci pour ta Parole,
Merci pour ton Esprit permet de la comprendre
Merci pour Jésus notre Christ qui l'incarne
Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, de te faire proche de nous
Nous nous reconnaissons au bénéfice de ta seule grâce.
Pour cet amour gratuit et infini
Merci !
A toi, Père, Fils et Saint-Esprit,
à toi seul, tout honneur et toute gloire. AMEN
CHANT [ANNONCÉ PAR LE PASTEUR] 33-02, page 399, strophes 2 et 3
[ASSIS]
L'APPEL À LA CONVERSION
Esaïe 58.7-10
7Ne s’agit-il pas de partager ton pain avec celui qui a faim
et de ramener à la maison les pauvres sans abri ?
De couvrir celui que tu vois nu,
et de ne pas t’esquiver devant celui qui est ta propre chair ?
8Alors ta lumière poindrait comme l’aurore,
et tu te rétablirais bien vite ;
ta justice marcherait devant toi,
et la gloire du SEIGNEUR serait ton arrière-garde.
9Alors tu appellerais,
et le SEIGNEUR répondrait ;
tu appellerais au secours,
et il dirait : Je suis là !
Si tu éloignes du milieu de toi le joug,
les gestes menaçants
et les discours malfaisants,
10si tu offres à l’affamé
ce que tu désires toi-même,
si tu rassasies l’affligé,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres,
et ton obscurité sera comme le midi.
CHANT Ps 86A, page 100 strophe 1
L'ANNONCE DU PARDON
Recevoir le pardon, c'est à la fois admettre le mal radical, et promettre tout aussi radicalement de ne plus y replonger ou de ne plus jamais l'accepter, alors nous pouvons entendre pour nous-mêmes ces paroles d' Esaïe d'une part:
Si vos péchés sont noirs comme la suie, ils deviendront comme la neige ;
S'ils sont rouges comme le sang, ils auront la blancheur de la colombe (Esaïe 1/18 )
et cette parole très théologique et pourtant si relevante tirée de la lettre aux éphésiens,
3 Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes, dans le Christ. 4En lui, il nous a choisis avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, 5il nous a destinés d'avance, par Jésus-Christ, à l'adoption filiale, pour lui, selon sa volonté bienveillante, 6afin de célébrer la gloire de sa grâce, dont il nous a comblés en son bien-aimé.
7 En lui, nous avons la rédemption par son sang, le pardon des fautes selon la richesse de sa grâce, 8qu'il nous a octroyée abondamment, en toute sagesse et intelligence. 9Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le projet bienveillant qu'il s'était proposé en lui, 10pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : récapituler tout dans le Christ, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre.
[DEBOUT]
CHANT Ps 86A, page 100 strophe 2
L'EXPRESSION DE LA VOLONTÉ DE DIEU [LECTEUR]
Chaque être humain a été désiré tel qu’il est,
quels que soient son héritage culturel,
ses convictions ou sa confession religieuse,
sa couleur de peau ou son ethnicité,
son orientation affective ou son identité de genre.
il existe de multiples manières de croire et de pratiquer,
uni-e-s et ancré-e-s dans le même enseignement de l’Amour inconditionnel. »
CHANT Ps 86A, page 100 strophe 3
[ASSIS]
LA PRIÈRE D'ILLUMINATION
Seigneur, nous te cherchons dans la méditation de cette écriture ancienne ; rends-nous attentifs à l’écoute de la nouveauté de ta Parole. Amen.
LA LECTURE [LECTEUR]
LUC 9
27Et je vous le dis, en vérité, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le règne de Dieu.
28 Huit jours environ après ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. 29Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante. 30Il y avait là deux hommes qui s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Elie 31qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ, qui allait s'accomplir à Jérusalem. 32Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. Réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui. 33Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. Il ne savait pas ce qu'il disait. 34Comme il parlait ainsi, une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de crainte, tandis qu'ils entraient dans la nuée. 35Et de la nuée survint une voix : Celui-ci est mon Fils, celui qui a été choisi. Ecoutez-le ! 36Quand la voix se fit entendre, Jésus était seul. Les disciples gardèrent le silence et ne racontèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu'ils avaient vu.
ORGUE
LA PRÉDICATION (voir paragraphe suivant)
ORGUE
DEBOUT]
LA CONFESSION DE FOI [ENSEMBLE] [conduite par LECTEUR]
Aujourd'hui, dans la nuit du monde et dans l'espérance de la Bonne Nouvelle, j'affirme avec audace ma foi en l'avenir de l'humanité.
Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure. Certes, la vie sur Terre est robuste, mais c’est l’avenir de l’espèce humaine qui est en cause. Notre avenir est entre nos mains. Il faut réagir vite dans l’espérance de l’Évangile.
Je refuse de croire que l'être humain n'est qu'un fétu de paille ballotté par le courant de la vie, sans avoir la possibilité d'influencer en quoi que ce soit le cours des événements, et qu’il aura la sagesse de sauvegarder la planète, son berceau pour que la vie subsiste.
Je refuse de partager l'avis de ceux qui prétendent que l'homme est à ce point captif de la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre que l'aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir une réalité.
Je refuse de faire mienne la prédiction cynique que les peuples descendront l'un après l'autre dans le tourbillon du militarisme vers l'enfer de la destruction nucléaire.
Je crois que la vérité et l'amour sans condition auront le dernier mot effectivement. La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort.
Je crois fermement que, même au milieu des obus qui éclatent et des canons qui tonnent, il reste l'espoir d'un matin radieux.
J'ose croire qu'un jour tous les habitants de la terre pourront recevoir trois repas par jour pour la vie de leur corps, l'éducation et la culture pour la santé de leur esprit, l'égalité et la liberté pour la vie de leur cœur.
Je crois également qu'un jour toute l'humanité reconnaîtra en Dieu la source de son amour. Je crois que la bonté salvatrice et pacifique deviendra un jour la loi. Le loup et l'agneau pourront se reposer ensemble, chaque homme pourra s'asseoir sous son figuier, dans sa vigne, et personne n'aura plus raison d'avoir peur.
Je crois fermement que nous l'emporterons car l’homme et la femme ont la capacité de résister au Mal par la vertu du Christ qui nous a apporté la Bonne Nouvelle. Amen.
CHANT Ps 096, page 108, strophes 1, 2,3, 4 et 6
LES ANNONCES
L'OFFRANDE ( EN ORGUE ADAPTÉE À LA DURÉE DE LA COLLECTE)
LA PRIÈRE D'INTERCESSION
Suis-je si démuni Seigneur que je doive encore m'adresser à Toi?
Je viens vers toi car je refuse le bannissement loin de toi que je m'impose,
que la fuite des jours m'impose,
que tout m'impose puisqu'ici bas rien n'est Toi
Mais ici-bas, c'est là où je suis et Seigneur c'est toi qui t'abats vers moi
et ma prière ne s’élève donc pas,
si je viens vers Toi c'est que Tu es là, ici-bas, et partout, depuis la fondation du monde, depuis avant même le premier éclat de conscience apparu dans un vide qui nous entoure encore,
Seigneur Dieu, je viens te prier pour nos consciences,
protège-les, assure-les, affermis-les,
ne les laisse pas tanguer de ci de là vers les plus offrants, vers les plus brillants, vers les mieux disants ou les plus séduisants
Rends-nous notre lucidité perdue. Redonne-nous ce courage qui est en nous, dans ce cœur où Tu as ta place, car sans Toi, il ne battrait pas. Mais Seigneur, qu'il ne batte pas pour rien : qu'il batte avec Toi, pour que nous devenions des témoins sans faille de Ton Évangile libérateur, protecteur et réhausseur des plus faibles
Je te prie pour qu'après le combat de la vérité
Quand nous serons affaiblis, ébréchés, fatigués, amochés,
nous puissions revenir nous restaurer en Ta présence respectable et nous réjouir dans la commensalité profuse de ton assemblée guérissante et aimante
Permets-nous de devenir ceux et celles que nous aurions aimé rencontrer quand nous nous étions perdus. Donne-nous des yeux neufs, des consciences neuves, pour voir la beauté, l'intrigante beauté du monde, que nous devons honorer comme nous-mêmes
amen
LE NOTRE PÈRE
CHANT (apprentissage) Ps 141, page 159, toutes les strophes
L'EXHORTATION ET LA BÉNÉDICTION
“Vous êtes la lumière du monde...
Que votre lumière brille devant les hommes.” (Mt 5:14-16)
Que notre lumière brille ainsi
par la parole et par les actes
Et pour que cela soit possible,
nous recevons la bénédiction de Dieu :
Que le Seigneur vous bénisse et vous garde, tourne son visage vers vous et vous donne la paix . AMEN
[ASSIS]
ORGUE
LA PRÉDICATION
robert philipoussi
“ce majordome discret”
prédication du 16 mars 2025,
au Temple de Port Royal
Cette prédication explore le concept du narrateur dans les récits bibliques, en prenant comme point de départ l'épisode de la transfiguration de Jésus dans l'Évangile de Luc. L'auteur soulève la question de l'identité et du rôle de celui qui raconte ces histoires, suggérant qu'il s'agit d'une entité discrète mais essentielle, comparable à un majordome invisible. Cette figure narrative est ensuite mise en parallèle avec notre propre narrateur intérieur, celui qui construit et donne une cohérence à nos vies. La prédication interroge la nature de la foi et la manière dont nous nous rapportons aux textes sacrés à travers la figure du narrateur. Elle propose une réflexion sur le fondamentalisme religieux et son rapport à cette instance narrative. Finalement, le texte médite sur le besoin humain de narration et sur la possibilité d'un au-delà des histoires.
LA LECTURE
LUC 9
27 Et je vous le dis, en vérité, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le règne de Dieu.
28 Huit jours environ après ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. 29 Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante. 30 Il y avait là deux hommes qui s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Elie 31 qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ, qui allait s'accomplir à Jérusalem. 32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. Réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui. 33 Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. Il ne savait pas ce qu'il disait. 34 Comme il parlait ainsi, une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de crainte, tandis qu'ils entraient dans la nuée. 35 Et de la nuée survint une voix : Celui-ci est mon Fils, celui qui a été choisi. Écoutez-le ! 36 Quand la voix se fit entendre, Jésus était seul. Les disciples gardèrent le silence et ne racontèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu'ils avaient vu.
LA PRÉDICATION
J'avais inauguré ma dernière prédication ici par la question « Qui parle».
Je vais aujourd'hui poser la même question, mais de façon plus prosaïque. Je viens ici poser la plus banale des questions sur un texte de fiction: la question du narrateur.
- parenthèse, ici encore, j'ai prêché maintes fois sur ce texte ou ses parallèles, d'autres que moi et ici aussi l'on fait, donc aujourd'hui, j'ai donc vraiment pris un tout autre angle-
C'est avec ce récit particulier que j''avais envie d'aborder cette question- celle du narrateur.
Dans presque tous les autres récits, il y a toujours des gens autour des paroles de Jésus. Le lecteur, celui qui par définition est plus intéressé par ce qu'on appelle « le fond » d'un récit que par sa mise en place, peut en général penser que si ce récit est arrivé sous ses yeux, qu'il y a bien quelqu'un, un anonyme dans la foule, pourquoi pas un enfant, qui aurait raconté cette histoire, qui de fil en aiguille, de bouche à oreille, aurait été reçue quelques décennies plus tard par celui qui a décidé de composer son évangile.
Lecteur conforté aussi par ce prologue de Luc, qui dit, à la première personne, quelle a été le cheminement d'un récit de sa source jusqu'à aujourd'hui, je cite:
L'introduction de Luc, le seul évangéliste qui se met officiellement en scène est très parlante concernant notre propos du jour : je vous lis:
1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des faits qui se sont accomplis parmi nous, 2tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la Parole, 3il m'a semblé bon, à moi aussi, après m'être informé exactement de tout depuis les origines, de te l'exposer par écrit d'une manière suivie, très excellent Théophile, 4afin que tu connaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.
J'ai dit presque tous les autres récits, car il y a par exemple deux exceptions notables, où le lecteur pas trop naïf est tout de même confronté à un paradoxe.
Deux récits par exemple où Jésus se retrouve seul. Deux récits où « ces témoins oculaires » vont être difficiles à trouver: dans un désert où il n'y a personne, où dans un jardin où tout le monde dort.
1- Les récits dits de la tentation de Jésus dans le désert . Jésus n'est censé être entouré que d'anges et de bêtes, et aussi de Satan. Oh certes, peut-être que Jésus lui même a raconté « l'autre jour j'étais dans le désert quand tout à coup le diable, le diviseur, Satan quoi m'a dit de me jeter du haut de la falaise. Cette idée est gênante, elle supprime toute la beauté de qu'il faut bien appeler le mythe de la tentation dans le désert. Un mythe n'a pas besoin d'être arrivé. Sa vérité vient d'ailleurs, de son adoption collective, de l'aisance de sa transmission, de sa puissance littéraire et de sa beauté.
2- Et l'autre exception notable est l'épisode du Jardin de Gethsémani, sur le Mont des Oliviers, à Jérusalem.
Après avoir soupé avec ses disciples (un repas qui est devenu notre sainte cène), Jésus invite quelques-uns de ses disciples à venir prier avec lui: tiens, les mêmes que dans notre texte, Pierre Jacques et Jean. Mais ces disciples finissent par tous s'endormir. Et Jésus se retrouve seul avec son Père, à qui il demande de ne pas mourir, puis, le laisse décider. Dans Luc, au chapitre 22 nous lisons cette phrase que Jésus a prononcé mais que personne n'a jamais entendue: “Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe. Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse »
Qui a pu bien raconter cette histoire pour qu'un jour un « narrateur » s'en empare?
Dans notre récit dit de la métamorphose, c'est à peu près le même phénomène. Jésus n'est pas seul, puisqu'il y a Pierre, Jacques et Jean. Mais ces témoins oculaires potentiels sont explicitement présentés comme non-fiables . Le sommeil des disciples est ici moins radical, mais les trois sont vraiment accablés de sommeil. Ils semblent agir un peu comme nous le faisons, quand nous rêvons et quand notre cerveau rationnel toujours actif (nous avons sans doute pris trop de café dans l'après midi) essaie de comprendre, de nous faire comprendre une situation folle. Ici, c'est ce qui se passe. Pierre voit Moïse et Elie discuter avec Jésus, et au lieu de s'en étonner, propose, sans doute en baillant, de monter des tentes pour tout le monde. « il ne savait pas qu'il disait » précise le narrateur.
« Je m'en doutais un peu quand même », dit le lecteur
Le narrateur, fier, ne répondra jamais à aucune question.
Ici, au premier degré, contrairement aux récits de la tentation ou du Jardin, on pourrait tout de même dire que c'est un des disciples qui a tout raconté. Ce qui est piquant puisque le récit se conclut par la ferme recommandation de Jésus de ne rien raconter à personne. Ce récit est structuré comme un songe. Peut-être que sa source était la transmission d'un rêve. Jésus dit à ces disciples de ne rien raconter de ce qui est arrivé. Peut-être qu'ils ont essayé. Mais le narrateur est venu à leur rescousse, en surplombant toute la scène, pour décrire objectivement ce mélange de son, de lumière éclatante, de voix qui vient du ciel, de personnages fantomatiques, et de disciples en hypnose. Qui a convoqué ce narrateur ?
Le narrateur ici, ce n'est même pas Luc, ce serait trop simple de réduire ainsi le concept. Luc sait que lui-même n'est pas le narrateur, car il transmet lui aussi cette histoire qu'il a reçu, narration comprise.
Tout écrivain digne de ce nom d'ailleurs sait que le narrateur qu'il utilise n'est pas lui. S'il voulait y prétendre, même en mentant, il dirait « je ». Mais s'il disait « je », son « je » narratif deviendrait un personnage actif et ça compliquerait extraordinairement son travail car il devrait justifier tout ce qu'il dit. Tandis que le narrateur lui, a tous les droits. Luc ne dit « je » qu'au début de son évangile. Continuons.
La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Début de la Genèse.
Pas si vide que cela, puisque tiens, le narrateur était là aussi. Le narrateur certes préfère rester anonyme, c'est tout à son honneur, mais tel un majordome anglais avec sa discrétion légendaire et son habileté de ninja pour surgir quand il le faut, il organise pour que tout fonctionne:
Heureusement qu'il est là par exemple pour rappeler que l'esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Sinon, comme l'aurions nous su? Le narrateur est littéralement supérieur à l'esprit de Dieu. Mais ne lui dites pas, il nierait. Il se vante intérieurement d'être un serviteur quelconque.
Et surtout ne le dites jamais à aucun fondamentaliste, car celui-ci pourrait vouloir en découdre avec vous, surtout par le temps qui courent, vous risqueriez l'expulsion et la dégradation au titre de « coupable de pensée autonome».
À propos du fondamentaliste, ou plus exactement du littéraliste. Beaucoup de gens croient que les fondamentalistes ou les littéralistes prennent pour argent comptant les faits énoncés dans les textes de l'écriture sainte. Moïse traverse les eaux, Jésus multiplie les pains et les poissons, ressuscite Lazare, sauve le serviteur d'un centurion et beaucoup d'autres actions extraordinaires. Même eux croient qu'ils pensent cela. Mais en fait, non. Les fondamentalistes ne sacralisent pas les énoncés, mais je dirais plutôt qu' ils divinisent le narrateur. Pour eux, le narrateur est Dieu lui même et c'est lui qui raconte toute la Bible (ce qui n'est pas discutable), et à nous qui pourrions lever le doigt et dire que peut-être ce n'est pas tout du long le même narrateur car pas la même époque, pas la même religion, pas la même situation, pas la même langue ou pas la même idéologie ou pas le même courant, ils diront : non, c'est le même qui court sur tout la Bible, il est Un, il est sacré, tout ce qu'il raconte est vrai.
Pourquoi parfois vous aimez mieux parfois vous plonger dans des textes comme les Psaumes, ou l’ecclésiaste, les épitres de Paul, ou les Proverbes, ou les Psaumes? Parce que: il n'y a pas de narrateur officiel. Vous ne sentez plus son invisible poids. Parfois, vous ne voulez plus être cet enfant à qui l'on raconte des histoires.
Dans Job, la partie en prose donc avec un narrateur explicite enchâsse d'une façon assez rudimentaire, comme un collage, la très longue partie poétique. Le narrateur par la suite se contente de distribuer la parole des uns et des autres. On aime bien se promener dans la pensée de Job plutôt que d'être accrochés en permanence au bon vouloir d'un narrateur.
Pourquoi aimons nous les paraboles ? Parce que nous y voyons un narrateur beaucoup plus espiègle et qui s'est libéré du carcan de son maître et qui raconte ce qu'il veut débarrassé de sa fonction exténuante de contextualiser, et donc de faire croire.
Tout le problème du fondamentalisme religieux serait donc lié au refus d'aborder la question pourtant abondamment traitée, du narrateur omniscient (et omnipotent).
Ce personnage qui est aussi omniprésent et si ouvertement exposé n'est pourtant jamais interrogé, sinon évidemment par les spécialistes des textes. Ceux-ci sont des archéologues, contrairement à nous qui, quand nous trouvons tout à coup une cuillère et un bol, nous avons envie de faire un repas, alors qu'eux disent simplement qu'il y a ici une cuillère et un bol et à quoi potentiellement ces ustensiles pouvaient bien servir, de quand ils datent et comment ces éléments jouent avec le reste des trouvailles du périmètre de fouille. C'est une simple métaphore, une analogie pour diminuer un peu si possible la sécheresse de mon propos.
Peut-être que, si nous ne dérangeons jamais ce narrateur c'est que sans lui nous n'aurions presque aucun écrit, sinon, des prières, des louanges, des témoignages, ou la lettre de Paul aux Romains. Mais aucune histoire à raconter, au catéchisme par exemple.
Sans lui, je n'aurais pas pu ici même produire 3 prédications sur le texte dit de la métamorphose, sans compter celle-ci, mais celle-ci n'aborde ce récit que de biais. Parce que je ne parle aujourd'hui que de ce majordome discret. Ce qu'il n'apprécie pas, car s'il est l'ordonnateur général, il n'aime pas qu'on le sache, ni même que l'on sache qu'il existe.
Sans lui, aucun événement émotionnel incompréhensible comme celui du jour n'aurait pu se métamorphoser en récit du jour, exploitable, interprétable presqu'à l'infini.
Sans lui, même un événement ne s'étant jamais produit, n'aurait jamais été révélé à l'attention de milliards de personnes.
Sans lui, nous ne serions pas là, parce qu'aucune parole de Jésus n'aurait été mise en situation.
Mais la question fondamentale qui nous reste, ce narrateur là, ce démon discret et si puissant est-il toujours confiné dans des récits, ou, se promène-t-il, ailleurs?
Bien sûr, mais ailleurs, il se fait encore plus discret. Il se loge au cœur de nos vies en permanence et il la raconte, il nous la raconte en permanence pour que nous ne nous perdions pas, pour qu'au moins nous-mêmes continuions jusqu'au bout à en percevoir la cohérence, y compris dans les cas extrêmes où tout le monde autour de nous trouverait que nous aurions perdu la raison.
On blâme ceux qui se la racontent, et c'est vrai qu'ils ont énervants en prenant de nos nouvelles en racontant toujours leur propre histoire. Mais tous, intimement, nous nous la racontons. Ceux qui nous énervent en société ne font que théâtraliser cette tendance naturelle à la narration de soi et si cela se trouve, et pour une fois, cette caractéristique est peut-être, spécifiquement humaine.
C'est pour cela que nous laissons le narrateur biblique vivre sa vie et ne le questionnons pas plus que ça, parce qu'au fond de nous, nous avons le même. Nous sentons, même si nous ne l'avouons jamais à nous même, que notre vie est prise dans notre propre narratif permanent. Même si nous usons du moi et du je, cela ne trompe personne. « Il » raconte notre vie. Il se maquille avec notre « je ». En plus, tout le monde le voit. Même si tout le monde n'a pas le temps de raconter votre vie aussi bien et aussi profondément que vous le faites. Même si les résumés qu'ils en font sont à vos yeux extrêmement succincts et si souvent décevants. Car « ils », les autres, ne perçoivent pas aussi bien que vous votre cohérence, et parfois, cela vous déprime d'essayer de leur démontrer. Mais cela les indiffère en partie. Pourquoi ? Puisqu'eux aussi, font ce travail en tache de fond en permanence, et que ça les fatigue autant que vous, non pas de vivre, mais « d'exister ». C'est la tache du narrateur « faire exister, mettre au monde, ce qui n'est qu'informe et vide, tohu bohu, potentiel.
Tout ce que nous faisons, tant que nous aimons notre liberté jamais acquise, c'est fortifier ce narratif personnel pour qu'il ne soit pas englué par celui des autres, d'un autre, par un autre narrateur que celui qui loge en vous , celui qui est votre daimon, ce génie personnel des Grecs. Votre biographe attitré.
Alors, je me demande si quelque part, comme on disait dans les années 70, si quelque part , à la limite, disait-on aussi, les fondamentalistes n'auraient pas eu un peu raison quant à leur façon de se soumettre au narrateur biblique. Peut-être que celui-ci a finalement un rapport avec ce qu'ils appellent Dieu, ou tout au moins avec un au-delà des apparences plates.
Non pas celui qui est appelé « Dieu » dans la Bible car celui-ci est un personnage comme un autre, non pas lui, l'autre. Le seul dieu caché en fait c'est n'est pas lui, c'est celui qui le raconte. L'absent omniprésent. Le majordome anglais derrière la porte, qui sait et contrôle tout.
Peut-être que ce narrateur biblique, qui dit par exemple dans notre récit « Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante » est un cousin de notre propre narrateur qui raconte et actualise en permanence notre propre histoire, fonde et sédimente en permanence l'intelligence de notre foi et s’exténue à produire de la cohérence.
En disant sa prédication, il oscillait entre la certitude de présenter du neuf et du beau et la crainte de passer pour un rhéteur, un solipsiste, un astucieux, un producteur de néant, mais qu'importe, pensait-il, ce ne sont que des paroles qui s'envolent
Peut-être que ce narrateur intime, celui qui commente la Bible que je suis en train de lire et qui trouve de la cohérence dans un amoncellement de mots, a peut-être un rapport avec celui, le celui sans qui, rien ne pourrait être mis au jour, révélé, compris, soutenu et proclamé.
Peut-être que ce narrateur biblique et notre story telling personnel sont des formes on va dire archaïques, ou des émanations, des redondances ou des traces, de plus grand artiste de tous les Temps, vous savez celui, masculin, féminin, singulier, pluriel ou neutre, qu'importe, qui se cache derrière toutes les histoires qui nous sont offertes.
Peut-être néanmoins qu'un jour, il faudra être délivré des sortilèges de ce génie perché sur notre épaule, et de ses injonctions à exister dans un monde saturé de narratifs.
Peut-être qu'un jour, nous n'aurons plus besoin d'histoires.
Que tout sera évident.
AMEN
Les autres prédications sur ce site ayant eu comme support un des textes sur la transfiguration de Jésus
À VRAI DIRE, SANS VOUS OFFENSER, JE NE VOIS PAS D'AUTRES POSSIBILITÉS DE RENCONTRER DIEU QUE DE SON VIVANT, 25 FÉVRIER 2024
THÉOPHANIE, 5 mars 2023
CECI EST MON CORPS ,13 Mars 2022
ENTRE LA TERRE ET LE CIEL, PAR NICOLAS BONNAL,, 28 FÉVRIER 2021
ÉCOUTEZ-LE, PAR CLAIRE GRUSON
LA MÉTAMORPHOSE, le 12 mars 2017
QUE SIGNIFIE SE RELEVER D'ENTRE LES MORTS?, LE 1er mars 2015