Paris le 29/09/24, temple de Port Royal, par Dany NOQUET
Le texte explore l'histoire des Gabaonites, un peuple cananéen qui a déjoué les Israélites en se faisant passer pour des étrangers, afin d'éviter d'être exterminés. L'auteur de la prédication souligne la complexité de cette situation en montrant comment les Israélites ont été confrontés à un dilemme : respecter la loi divine d'extermination ou honorer leur serment envers les Gabaonites. L'auteur utilise ensuite cet exemple pour souligner la nécessité de dépasser les différences ethniques et de s'engager dans un dialogue interreligieux, afin de construire une société plus pacifique et inclusive.
TEXTES BIBLIQUES
Extrait de Josué 9,1-27
Et il advint, lorsque tous les rois qui étaient en Canaan dans la montagne, …, et sur toute la côte de la grande mer jusqu’au Liban, les Hittites, les Amorites, les Cananéens, les Hivvites, …, et les Jébusites, entendirent, 2ils se rassemblèrent ensemble pour combattre Josuéué, et Israël d’une bouche unique. 3 Et Les habitants de Gabaon apprirent ce que Josuéué avait fait à Jéricho et à Aï ; 4 Eux agirent de même, mais avec intelligence : ils allèrent et s’approvisionnèrent : ils prirent des sacs usés pour leurs ânes, des outres à vin … rapiécées ; 5 des sandales … rafistolées aux pieds, et sur eux des vêtements usés ; toute la nourriture de leurs provisions étaient sèches et en miettes.
6 Ils vinrent vers Josuéué au camp de Guilgal et lui dirent ainsi … : « Nous venons d’un pays lointain. Maintenant, scellez une alliance avec nous. » 7 Les hommes d’Israël dirent aux Hivvites : « Peut-être habites-tu au milieu de moi ? Comment scellerai-je une alliance avec toi ? » 8Mais ils dirent à Josuéué : « Nous sommes tes serviteurs. » Et Josuéué leur dit : « Qui êtes-vous et d’où venez-vous ? » 9Ils lui dirent : « Tes serviteurs viennent d’un pays très lointain au nom du Seigneur, ton Dieu, car nous avons appris sa renommée, tout ce qu’il a fait en Égypte 10et tout ce qu’il a fait aux deux rois des Amorites … au-delà du Jourdain, à Sihôn, roi de Heshbôn, et Og, roi du Bashân…. 11Nos anciens et tous les habitants de notre pays nous ont dit : “Prenez avec vous des provisions pour la route ; allez à leur rencontre et vous leur direz : Nous sommes vos serviteurs.” Maintenant, scellez une alliance avec nous. 12Voici notre pain : il était chaud… maintenant, le voilà sec et en miettes. …et voilà, nos vêtements et nos sandales, les voici usés…. » 14Les Israélites prirent de leurs provisions, et ils ne demandèrent pas la parole de Yhwh. 15Josuéué fit la paix avec eux et scella avec eux une alliance qui leur laissait la vie ; les responsables de la communauté leur en firent le serment.
16 Or, au bout de trois jours, après avoir conclu avec eux un pacte, les fils d’Israël apprirent que ces gens étaient proches, et qu’ils habitaient au milieu de lui. 17Les fils d’Israël partirent et entrèrent le troisième jour dans leurs villes qui étaient Gabaon, Kefira,…. 18Les fils d’Israël ne les frappèrent pas, car les princes de la communauté leur en avaient fait le serment par le Seigneur, Dieu d’Israël, mais toute la communauté murmura contre les princes. 19Tous les responsables dirent à toute la communauté : « Nous leur avons prêté serment par le SEIGNEUR, Dieu d’Israël ; désormais, nous ne pouvons plus leur faire de mal. 20Voici ce que nous leur ferons : nous leur laisserons la vie pour que le courroux ne nous atteigne pas à cause du serment que nous leur avons prêté. » …
22Josuéué les appela et leur parla : « Pourquoi nous avez-vous trompés en disant : “Nous habitons très loin”, alors que vous habitez au milieu de nous ? 23Désormais vous êtes maudits et aucun d’entre vous ne cessera d’être serviteur – fendeur de bois et puiseur d’eau – pour la maison de mon Dieu. » 24En réponse à Josuéué, ils dirent : « On avait en effet souvent rapporté à tes serviteurs ce que le SEIGNEUR, ton Dieu, avait prescrit à son serviteur Moïse : vous donner tout le pays et exterminer tous les habitants…. Nous avons eu très peur de vous ;…. 25Maintenant, nous voici en ton pouvoir ; traite-nous comme il te semblera bon et juste. » 26Josuéué … les délivra de la main des fils d’Israël, qui ne les tuèrent pas. 27Ce jour-là, Josuéué les établit comme fendeurs de bois et puiseurs d’eau pour la communauté et pour l’autel du Seigneur jusqu’à ce jour, au lieu que Dieu choisit. (traduction DN)
Ga 3,23-29
23Avant la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. 24Ainsi donc, la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. 25Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. 26Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. 27Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 28Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. 29Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers.
PREDICATION SUR Josué 9
Chers amis,
Voici un récit qui a été au cœur d’un débat au sein de votre communauté, et il peut paraître curieux d’en faire le sujet d’une prédication pour parler dans l’aujourd’hui de nos vies . Avant d’esquisser quelques pistes, il est bon de se laisser porter par le récit lui-même pour comprendre combien il est plein d’inattendus.
1. Tout d’abord on nous raconte une histoire où les héros ne sont pas des Israélites, mais des Cananéens, les Gabaonites. Le site de Gabaon est une petite ville antique située à proximité de Jérusalem au Nord-Ouest. Dans le livre de Samuel, les Gabaonites jouent un rôle dans l’installation de David comme roi contre Saül. Dans le livre des Rois, c’est en ce lieu où Salomon a ce fameux songe où il demande à Dieu la sagesse pour gouverner.
Josué 9, valorisant une tradition liée à David et Salomon, développe une intention nouvelle au sein du livre de Josuéué ?
L’ensemble de Josuéué raconte une guerre-éclair qui aboutit à la conquête globale de Canaan par les Israélites. Et au cœur de cette histoire, Josué 9 se situe tout de suite après les destructions de Jéricho et de Aï, et l’écrasement total de leurs populations.
Dans ce contexte, Josué 9 raconte combien les rois cananéens sont effrayés et forment une coalition pour s’opposer à l’invasion triomphale de Josuéué. Face à cet extrême danger, Josué 9 rapporte l’étonnante attitude des Gabaonites qui optent pour une autre stratégie. Au lieu de s’armer pour la guerre, ils décident de se faire passer pour un peuple impuissant, venu de loin, en dehors de Canaan, pour se soumettre à cet Israël tout-puissant. Pour cela, ils se déguisent en personnages épuisés par un long voyage, avec du pain sec, des outres vides et des sandales usées. Mais pourquoi tout ce théâtre ? Rencontrant les Israélites, ils se présentent comme leurs serviteurs (ou même esclaves), en témoignant de ce qu’ils ont entendu sur les victoires du Dieu d’Israël en Egypte, en Transjordanie. Leur stratagème marche : les Israélites font alliance avec les Gabaonites, ils prêtent même serment, c’est-à-dire qu’ils impliquent le Seigneur. Les autorités israélites considèrent leur démarche comme légitime, puisqu’ils reconnaissent le Dieu d’Israël.
Or, trois jours après, les Israélites découvrent qu’ils ont été bernés : les gabaonites ne sont pas un peuple lointain, mais un peuple habitant Canaan au milieu d’Israël.
Nous comprenons alors la raison de ce théâtre ! En effet, le récit présuppose la Loi de la guerre de Dt 20. Il y est clairement dit que les peuples qui sont en dehors de Canaan peuvent être réduis à l’esclavage, mais pour ceux qui habitent Canaan, il faut les exterminer sans pitié, les génocider. Que faire ?
A ce point, le récit est extraordinaire pour ouvrir une brèche. Il y a les Israélites qui veulent la peau des Gabaonites selon la loi de Dt 20, mais il y a les autorités éclairées qui disent : NON à la guerre systémique, car ils sont engagés vis-à-vis du Seigneur : il n’est pas possible d’aller contre le serment sans provoquer la colère divine. Dans notre Bible, Josué 9 demande de déroger à la loi de la guerre religieuse, de désobéir à la loi de la violence ethnique !
Josué lui-même accepte cette situation, et même s’il se fâche, il délivre les Gabaonites de la main d’Israël : il les sauve (le verbe du salut divin). Et il offre une place au service de l’autel du Seigneur.
2. Quels sont donc les enjeux de cet étonnant passage ? Saluons en premier l’intelligence gabaonite : ces étrangers comprennent qu’ils ne peuvent rien devant Celui qui conduit les Israélites et qui a défait Pharaon et les puissants rois de Transjordanie. Ils reconnaissent implicitement le dieu d’Israël comme unique. Il ne sert à rien de résister, la violence guerrière est une impasse. C’est pourquoi ils inventent un stratagème pour survivre : mieux vaut être un peuple esclave qu’un peuple mort ! Dès lors, ils tentent leur chance en jouant sur l’interprétation possible de la loi qu’ils connaissent, en se faisant passer pour un peuple lointain qui offre la possibilité de vivre avec Israël, même esclaves. Et quand leur stratagème est découvert, ils réitèrent la seule chose qu’il leur reste : la reconnaissance de la grandeur du Seigneur.
Du coup, le premier enjeu de ce texte est de placer les Israélites d’hier comme les lecteurs d’aujourd’hui devant cette tension entre l’obéissance stricte et la relation au Seigneur. Le récit souligne la supériorité et la priorité de la relation à Dieu sur l’obéissance littérale à la loi pour permettre la vie. Il y a une vision universelle du divin qui relativise la loi : la loi peut être désobéie au nom même du Seigneur : le massacre n’est plus justifiable dès lors que l’on a une relation à Dieu que l’on soit israélite ou étranger. Et de manière paradoxale, Josuéué, le plus fidèle serviteur de la loi et le pourfendeur des nations étrangères, devient ici le premier sauveur des Cananéens gabaonites, les associant même au culte du Seigneur.
Dès lors, le deuxième enjeu est de poser une nouvelle question : peut-on être adepte du dieu d’Israël sans être israélite et habiter Canaan avec Israel ? Le récit répond OUI déployant une théologie de l’intégration ! Désormais, dès l’origine d’Israël, les étrangers ont reconnu le Seigneur, pris part à son service, et ont habité Canaan ! Du coup, si cela s’est passé aux temps de Josuéué, pourquoi cela ne serait-il pas possible encore dans l’aujourd’hui du lecteur ?!
Dans cet univers de guerre, Josué 9 est une brèche ouvrant à une réflexion, placée aux origines d’Israël en Canaan. Réflexion sur un dépassement de la différence ethnique, au nom du Seigneur, pour une cohabitation paisible. Israël peut être une population mélangée d’origine israélite ou non-Israélite vivant côte à côte au service de Dieu, faisant déjà du temple une « maison pour tous » selon Es 56. Comme les Galates invitent au dépassement en Jésus le Christ : « il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre ».
Au cœur d’un livre légitimant le rejet des autres par Israël, il y a là une prouesse d’écriture qui est une brèche, une alternative à la fatalité du malheur. Des auteurs ont osé insérer un passage sur l’accessibilité à Dieu par d’autres peuples : Josuéué sauve des étrangers, accepte leur relation propre à Dieu, même en Canaan : un autre rapport au divin et aux autres peuples est désormais possible.
Les récits de Josuéué, vous le savez, ne sont pas historiques selon la recherche et l’archéologie : ils ont été écrits pour soutenir le roi judéen Josuéias, sa réforme exclusiviste (pas de culte étranger) et sa conquête du nord, au VIIème av. JC. Josué 9, écrit bien plus tard, nuance l’image d’un Israël opposé aux autres pour le reconfigurer en un Israël de l’intégration et du vivre ensemble sous un même Seigneur. Ici transparaît l’expérience des communautés juives vivant en diaspora au milieu d’autres peuples.
3. Enfin, quelques mises en perspectives.
Le temps serait-il venu de nous refonder sur nos Écritures ? Pour profiter des approches bibliques renouvelées, se réjouir de l’immense diversité biblique mise à jour. L’Écriture est une conversation entre points de vue divers comme le disait notre chère Françoise Smyth. L’Écriture, chaque fois qu’elle est capturée pour justifier telle ou telle position, légitimer tel ou tel système politique, l’Écriture est trahie. Elle nous inspire donc sans imposer ni uniformiser, elle nous confronte sans culpabiliser ou abaisser, elle nous oriente sans exclure ni contraindre. Elle laisse libre et responsable pour que les fatalités du malheur et de l’exclusion demeurent inacceptables, et que nos communautés lectrices soient porteuses d’une voix d’espérance.
Et, au moment où nous sommes bouleversés par tant de conflits avec leur dimension religieuse et leur engrenage de violence : serait-ce la vocation de notre tradition protestante, nos communautés de foi, de demeurer des brèches ? Dans le dialogue interreligieux, instiller l’idée de désimpérialiser toute religion comme le pense Shafique Keshavjee. De renoncer à toute hégémonie à toute capture des consciences ou de la vérité. Notre déclaration de foi ne dit-elle pas : « la vérité nous dépasse, nous en sommes une part en tant que membre de l’Église universelle ». Imaginons un instant ce qu’un tel renoncement signifierait : des cohabitations paisibles construites sur le dialogue à la place de certitudes ignorantes ! Comme l’Écriture demeure toujours une irruption dans nos vies, puisse le Seigneur nous donner de rester brèche sur cette terre pour un chemin de reconnaissance et de bienveillance. AMEN
Dany Nocquet